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De la saloperie actuelle

mardi 6 mars 2012

Il [Montesquieu dans L’Esprit des lois] ne perd pas de vue, pour autant, la « propre nature » de l’homme, par exemple lorsqu’il
note que "l’esclavage est contre le Droit naturel,
par lequel tous les hommes naissent libres
et indépendants". Il n’a cessé d’observer la
diversité des sociétés et de les expliquer dans
la mesure du possible, mais aussi de réfléchir
aux institutions les plus conformes à la "propre
nature" de l’homme et les plus favorables
à son épanouissement. Par là, il a contribué
à poser en des termes nouveaux la question
philosophique par excellence, qui est aussi
la première question politique : celle de la
nature propre de l’homme, en deçà des
différences historiques observables, et de la
meilleure organisation politique qu’il puisse
se donner.

Or cette question se pose aujourd’hui plus
que jamais. Ceux qui veulent plier l’homme
dans un certain sens, en imprimant dans son
esprit une idée de lui-même conforme, non pas
à sa nature, mais à leurs intérêts, disposent de
moyens de plus en plus dangereux. Les grandes entreprises de domestication de la pensée qui se sont succédé à l’époque contemporaine
ont produit des résultats de plus en plus
catastrophiques. La dernière en date, celle du
néo-libéralisme, n’en aura pas de meilleurs.
Or, pour la combattre, il est nécessaire d’en
comprendre la nature.

Comme les précédentes, elle s’impose en
répandant une idée de l’homme conforme
à l’intérêt de ses promoteurs. Le néo-libéralisme veut que cette idée devienne
notre seconde nature et que nous perdions
de vue la première. Ce phénomène a été
analysé récemment par Pierre Dardot et
Christian Laval [La nouvelle raison du monde, Paris, La découverte, 2009, p.5]. « Ce qui est en jeu, écrivent-ils, n’est ni plus ni moins que la forme de notre
existence (...). Le néo-libéralisme définit en
effet une certaine norme de vie dans les
sociétés occidentales et, bien au-delà, dans
toutes les sociétés qui les suivent sur le chemin de la ’modernité’. Cette norme enjoint
à chacun de vivre dans un univers de
compétition généralisée, elle somme les
populations d’entrer en lutte économique
les unes contre les autres, elle ordonne les
rapports sociaux aux modèles du marché,
elle transforme jusqu’à l’individu, appelé
désormais à se concevoir lui-même comme une entreprise ».

Extrait de Notes sur Tchouang-Tseu et la philosophie, de Jean-François Billeter, chez Allia pp.41/44.

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