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À propos de constellations...

J.-M. Royer, CPTS A, CHU Tours, 02.02.2006

dimanche 26 février 2006, par Michel Balat

À propos de constellations...

Au traditionnel repas de Noël dans le service, repas qui se tient comme tous les ans à l’hôpital, le 3ème jeudi de décembre, mon voisin de table, un patient hébéphrène mutique ne m’a adressé la parole que pour, me dire avec son rictus discordant habituel : « est-ce que c’est bien réel que je survis ? »

Question impossible témoignant de son vécu vacillant omniprésent, vécu de perte du sentiment d’être vivant, question à laquelle il ne peut être répondu par les mots d’un seul, en tout cas je ne les ai pas trouvés, mais question qui pourtant demande réponse.

Ce patient venait de subir quelques semaines auparavant une ablation d’un testicule suite à une surinfection grave et évoluée, par défaut d’hygiène et négligence massive, d’une banale intervention réglée de cure de hernie inguinale et d’hydrocèle. Il n’avait exprimé aucune plainte, alors qu’il avait été vu à sa consultation psychiatrique mensuelle habituelle, 48h avant l’intervention chirurgicale en urgence, comme si la souffrance incontournable de son corps à ce stade d’évolution de l’infection n’avait pas été intégrée, mais avait été clivée de façon extra-psychique.

C’est, chez ce patient en sursis d’existence, au contact hermétique, que sur ma proposition nous nous réunissons deux à trois fois par an depuis quelques années. Nous, c’est le patient, son aide ménagère, sa curatrice, son infirmière de secteur et moi-même. Parfois, sa mère se joint à nous. C’est l’occasion pour les uns et les autres d’échanger des informations et considérations à propos du patient, des uns et des autres, de la situation de ce qui apparaît satisfaisant, de ce qui ne l’est pas. On y parle aussi un peu de la pluie et du beau temps.

Le patient présent est le plus souvent en retrait, toujours avec sa mimique discordante, ne se contentant que de brèves réponses, voire de simples soupirs quand l’un ou l’autre s’adresse à lui. La tonalité de la rencontre est apparemment souriante, chacun s’efforçant d’y mettre un peu de légèreté.

A mon regret, l’hôpital de jour que fréquente le patient de façon pluri-hebdomadaire n’a jamais pu être représenté ; le refus des infirmiers qui y travaillent est que par principe, de par leur affectation à l’hôpital de jour, ils n’ont pas à se déplacer à domicile, pour ne pas générer de possible confusion auprès des patients avec le rôle de l’infirmier de secteur. Il ne faut pas désespérer d’assouplir un jour cette résistance crispée.

A quoi peut bien rimer cette constellation partielle au domicile du patient ? Ce temps de rencontre partagée permet de garder des entours un tant soit peu vivants auprès du patient, tant la lourdeur de sa pathologie amène rapidement à l’usure, voire à la dévitalisation de sa prise en charge au point de la transformer en coquille vide inhabitée. Le croisement des intérêts et point de vue a toujours pour un temps un relatif effet de relance singulière vis-à-vis du patient décourageant de par sa carapace relationnelle, avec son manteau qu’il ne quitte jamais et ses deux mains chargées en permanence de multiples objets personnels au sens où ils font partie de sa personne (cigarettes, briquets, pièces de monnaie, clef, carte de bus...)

Cette initiative, dans le sens d’une modeste pratique collective, institutionnelle de secteur, hors les murs, a permis d’endiguer en partie les demandes intempestives, parfois impératives d’hospitalisation pour toujours le même motif rituel hermétique (« je dors pas ») ne correspondant à aucune réalité objective. Depuis que cette pratique a été installée, le patient demande parfois à son infirmier de secteur ou à moi-même : « quand est-ce que vous venez chez moi ? », comme si le temps pouvait recommencer un peu à se déplier, à partir d’un micro-événement soutenu collectivement...

Il est moins difficile de répondre à cette question qu’à celle que je citais au début de ma présentation, « Est-ce que c’est bien réel que je survis ?... ».

J.-M. Royer, CPTS A, CHU Tours, 02.02.2006