Accueil > Les entours > Pierre Delion > Article du journal "Libération"

Article du journal "Libération"

samedi 10 décembre 2011, par Michel Balat

Jeudi 8 Décembre 2011
France
Autisme : « dogmatismes » en duel au tribunal de Lille
Plainte . Interrogés pour un documentaire, des psychiatres contestent la dénaturation de leurs
propos et demandent l’interdiction du film.
Un procès pour tentative de
« ridiculiser la psychanalyse » : c’est
ce qui arrive à la documentariste
Sophie Robert, assignée aujourd’hui
au tribunal de grande instance de
Lille pour son film, visible sur le Net,
le Mur, la psychanalyse à l’épreuve
de l’autisme. Trois psychiatres, Estela
Solano-Suarez, Eric Laurent et
Alexandre Stevens, lui reprochent
d’avoir « dénaturé » leurs propos. Ils
demandent l’interdiction du
documentaire, arguant qu’ils sont les
auteurs des interviews et ont un droit
de regard sur leur utilisation.
« J’aurais escamoté des propos qui
font que ce qu’ils disent n’est pas
ridicule », ironise Sophie Robert.
Le film dénonce le même message,
répété de psychanalyste en
pédopsychiatre : les enfants autistes
sont victimes d’une mère soit trop
froide soit trop chaude et s’enferment
dans une bulle. « Le grand public
ignore que, pour les psychanalystes,
les mères sont pathogènes par
essence, s’enflamme Sophie Robert.
J’ai fait un film qui ne les condamne
pas. Ils se condamnent tout seuls
avec leurs propos. »
« Financeur ». Sauf que les intéressés
ne s’y reconnaissent pas. « Ces
théories sont totalement dépassées »,
affirme le professeur Pierre Delion,
pédopsychiatre au CHRU de Lille. Et
ce serait « calomnieux » de faire croire
l’inverse. Interviewé par Sophie
Robert, il n’a pas porté plainte mais
s’est senti « victime d’un abus de
confiance », avec l’utilisation de « cinq
secondes d’entretien totalement
détachées du contexte ». Il dénonce le
face-à-face du docu entre la
psychanalyse « inefficace » et les
méthodes comportementalistes, Aba
ou Teach, que la réalisatrice
plébiscite.
La thèse de la prédominance des
méthodes comportementalistes sur la
psychanalyse est portée par
l’association de parents d’autistes,
Autismes sans frontières, « financeur
principal du film », reconnaît Sophie
Robert, qui assume son parti pris.
Dans les hôpitaux, ces méthodes
comportementalistes, basées sur la
répétition des mêmes gestes, tiennent
leur place à côté du thérapeutique,
présent « si nécessaire », selon le
professeur Delion, qui souligne : « La
psychanalyse sert à comprendre ce
qui se passe entre l’enfant et ses
accompagnants. Elle n’est pas dans
l’explication des causes de
l’autisme. »
Génétique. Il est désormais acté que
l’autisme a une cause génétique. Les
psychanalystes qui attaquent, proches
de l’Ecole de la cause freudienne
(gardiens des oeuvres de Lacan),
refusent de s’exprimer. Un
connaisseur du dossier, psy, soupire :
« Ils adorent les procès. Cette affaire,
c’est la rencontre entre deux
dogmatismes », l’Ecole de la cause
freudienne contre les
comportementalistes. Il conclut :
« Les modérés sont pris entre les deux
comme dans un casse-noisettes. »
De notre correspondante à Lille
Stéphanie Maurice
Tous droits réservés : Libération Diff. 144 054 ex. (source OJD)
6C59F97169F0E909A54C0BD0C605A13F7BB2449AB46356147FD62A0