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Avec les personnes autistes... La question de leurs institutions

mardi 18 septembre 2007, par Michel Balat

Avec les personnes autistes, psychotiques et les autres : La question de leurs institutions

Journées de formation, jeudi 30 novembre et vendredi 1er décembre 2006

Vendredi 1er décembre 2006 : ATELIER
Comment démarrer ? D’une scène à l’autre

Taquiner l’institution

Commencer dans une institution est toujours quelque chose de particulier, d’autant plus quand il s’agit de son premier poste. Cela fait maintenant un an, que j’exerce au Sessad de l’Itep d’Armentières et au centre de consultations Le Taquin, un an que j’ai démarré, que j’ai détaché les amarres pour voguer sur les flots de l’institution.
Quand j’ai débuté dans l’établissement, je suis arrivée avec mes envies, avec ma représentation sur la pratique, avec mes outils, avec ce que l’on m’a transmis de-ci de-là. Arrivée à un moment donné, c’est aussi prendre le cours de l’histoire institutionnelle : départ d’une personne faisant figure dans l’institution, mon arrivée à un poste laissé vacant pendant plusieurs mois (Questions du transfert / de la transmission).

Je parlerai aujourd’hui de ma pratique au Sessad (service d’éducation spécialisée et de soins à domicile). Il s’agit d’un des services de l’Itep d’Armentières, qui a vu le jour il y a dix ans maintenant. L’établissement accueille des adolescents qui présentent des troubles du comportement.
A l’origine le Sessad est une émanation de l’internat. Ce service est marqué par la tentative de se distinguer par rapport à ce dernier, l’attention est centrée sur la prise en charge individuelle et ce qui touche au Collectif est mis de côté, source de résistances importantes.
Comment articuler l’individuel et le collectif, qui reste néanmoins inhérent ?

A mon arrivée, j’ai tout d’abord tenté de m’imprégner du fonctionnement institutionnel, puis je me suis interrogée au sujet de plusieurs choses dont :
• l’accueil des adolescents, autant au quotidien qu’à l’admission
• la réunion institutionnelle, où resurgissent les statuts rôles fonctions de chacun et qui est source de résistances importantes.

J’évoquerai la question de l’accueil des adolescents au quotidien. Les adolescents viennent toutes les semaines au Sessad pour leurs différents rendez-vous, savamment orchestrés : avec l’éducatrice référente, l’institutrice, un des psychologues. Les espaces thérapeutiques sont délimités, programmés. Mais en dehors de ces temps, dans l’entre-deux, rien n’est aménagé pour ces adolescents. Ils n’ont pas d’espace à eux au sein des locaux.
Ces derniers, limites insalubres, ne sont pas aménagés. L’entrée du lieu mène directement sur un grand couloir qui débouche sur une « fosse », endroit nommé ainsi par les différents membres de l’équipe. C’est une pièce ouverte qui fait suite au grand couloir et qui se situe sur un niveau inférieur. Elle comporte un panier de basket. Bien souvent les adolescents se ruent dans cette « fosse » pour jouer au basket. Ils errent dans le couloir, dans la « fosse », pour ensuite aller de bureau en bureau au gré de leurs rendez-vous planifiés. Un comble pour ces adolescents, adolescents pour qui il est si difficile de se poser.

Je vais vous parler de Ludovic, 14 ans. Il est au Sessad depuis 2 ans. Il rencontre l’éducatrice plusieurs fois par semaine, voit l’institutrice et il est suivi par un psychologue du service. Pour Ludovic, les rendez-vous sont très angoissants. Régulièrement j’entrevois Ludovic : il arrive dans les locaux, court tel un fauve dans la fosse (fosse aux lions ?) et joue au ballon avec violence, se défoulant de toutes ses forces. Ce jour-là je suis dans le bureau des éducatrices en train de boire un café avec elles (bureau situé au dessus de la fosse). Ludovic arrive après s’être défoulé, il tourne autour des bureaux et de nos sièges, ne parvient pas à s’asseoir quand je lui tends un siège. Tourne et tourne encore. J’en ai le tournis. Une éducatrice lui propose d’aller acheter du jus de fruit dans le magasin d’en face. Nous sommes en train de boire du café, lui n’aime pas ça. Il y va en courant dans ce grand couloir. Quand il revient j’éspère qu’ils se pose enfin avec nous. Mais cela s’avère impossible. Il boit un jus de fruit debout et continue à s’agiter sans trop savoir quoi faire de son corps. Puis vient l’heure pour Ludovic de son temps avec l’institutrice, il s’agite de plus en plus. Difficile pour lui d’y aller. Des discussions s’entament dans le couloir avec Ludovic, l’éducatrice et l’institutrice pour finalement l’accompagner dans le bureau. L’ambiance est très souvent empreinte d’agitation, agitation en miroir avec les troubles de ses adolescents.

Je croise souvent Ludovic dans le couloir. Nous échangeons quelques mots. Un matin, Ludovic arrive et vient se servir un verre de coca, tandis que je suis là à préparer du café. Nous parlons. En passant, l’éducatrice râle parce qu’il boit beaucoup de coca. Ludovic fait remarquer que moi je bois beaucoup de café. Il fait preuve d’humour et nous rigolons ensemble. A lieu une vraie rencontre, l’espace d’un instant.
Nous sommes là, ensemble. Mais nous ne pouvons pas vraiment nous poser dans cette pièce impersonnelle, où il n’y a qu’un frigidaire et la cafetière. Nous sommes debout un peu maladroits. L’éducatrice nous rejoint, nous poursuivons notre discussion. Plus tard, avec l’éducatrice, nous évoquons ce moment passé avec Ludovic et nous regrettons l’absence d’un endroit sas, d’un entre-deux autre que ce cagibi où nous étions.

A plusieurs reprises, me voilà dans cette petite pièce lugubre à préparer un café et à croiser les éducatrices et des adolescents, que je ne rencontre pas d’habitude.
Petit à petit émerge l’idée dans l’équipe d’aménager une pièce conviviale pour se poser avec les adolescents. On en parle en réunion. Résistances. Quelle pièce peut-on utiliser ? Il n’y en a pas ? Et pourquoi pas l’ancien bureau des éducatrices ? Je suis étonnée, je ne connais même pas cette pièce, toujours fermée jusqu’à présent. Peut-être cette pièce ...
Finalement, j’aménage la pièce avec une éducatrice et un adolescent. Ça nous prend un jour. On installe une table, des chaises, un meuble avec la cafetière. Dans un placard, on trouve des livres, des jeux, des crayons. Je découvre des dessins accrochés au mur.
Il s’agit d’une pièce à l’entrée des locaux, avant ce grand couloir. Un espace dans l’entre-deux. Cette pièce est petit à petit investie par les membres de l’équipe, par les adolescents, mais c’est encore fragile, source de résistances pour certains.

Aujourd’hui, cet espace joue un rôle. On y passe quand on arrive pour dire bonjour à ceux qui sont là. On s’y arrête. On s’y installe seul ou à plusieurs, entre adolescents, entre adolescents et adultes. On y boit un verre, on discute, on joue... On peut faire des rencontres et enfin se poser. Il s’agit d’être-là (G. Pankow), être avec l’autre.
En juin dernier, Edouard a fêté l’obtention de son diplôme et c’est naturellement dans cette pièce que toutes les personnes attentives à sa réussite se sont réunies.
Il y a aussi Ahmed qui rituellement boit un thé avant d’aller voir l’institutrice. Préparer un thé, le boire, toutes ces choses peuvent être compliqué selon son état d’angoisse. Eparpillé, c’est un moment qui lui permet de se rassembler en présence des autres personnes autour de lui.
Hocine, quant à lui, boit un chocolat avant de venir à son rendez-vous avec moi, le lundi matin à 9h. « Faut le temps que je me réveille avant de venir vous voir », me dit-il un jour. Pour lui, c’est un moment d’interface entre son réveil, l’accompagnement en voiture avec l’éducatrice jusqu’au service et enfin sa séance. Moment dans l’entre-deux qui lui permet d’envisager notre rendez-vous et de pouvoir venir dans mon bureau.

Selon J. Oury, « créer un espace est un travail difficile et qui nécessite une remise en question de tout un appareillage ; un travail qui est toujours collectif. [...] travail de retissage qui nécessite une définition, ne serait-ce que provisoire, de l’espace. Il ne s’agit pas d’espace géométrique ou architectural mais de quelque chose qui nécessite une mise en place d’une architectonique des relations, des différents rôles, des différentes fonctions des personnes qui travaillent. »
Ce lieu est devenu un espace pour tous, espace qui commence à faire repère, espace de rencontres. Un lieu pour se poser fait maintenant sens pour les adolescents qui l’investissent chaque fois un peu plus. Ainsi peuvent s’opérer des parcelles d’échange.
L’ambiance en est modifiée. Il s’agit d’une tentative de construction d’espaces du dire.

Depuis cette rencontre avec Ludovic, d’autres moments d’échange ont eu lieu. Un jour, Ludovic viendra me dire bonjour dans mon bureau et m’apportera un dessin qu’il a souhaité afficher (dessin, intitulé le lézard sur la banquise, qui représente un garçon et un lézard ensemble sur une banquise). Avant les vacances, Ludovic m’apporte des contes qu’il a travaillés avec l’institutrice et me demande de les conserver. Récemment, Ludovic servait le café et échangeait avec les personnes assises autour de la table, c’est-à-dire moi et un autre adolescent plus grand, et ceci au grand étonnement de son éducatrice, qui arrivait dans la pièce à ce moment là.
Bref, toutes ses petites choses tissent ma rencontre avec Ludovic et prennent sens au regard de sa prise en charge thérapeutique.

L’accueil des adolescents au quotidien a donc été modifié par un aménagement de l’espace. La notion de double aliénation est à prendre en compte. Auparavant les adolescents n’avaient pas d’espace à eux et voguaient d’espaces thérapeutiques en espaces thérapeutiques. Seule la pièce, que l’on appelle la « fosse », leur permet de jouer, jouer au basket. C’est un espace de décharge pulsionnelle, en lien avec leurs troubles. Or « L’accueil, acte primordial qui engage les relations, doit être étudié et particulièrement structuré dans une perspective désaliénante » (J. Oury).
Il s’agit alors de créer un lieu de vie, où il est possible d’être ensemble, simplement. C’est un lieu commun pour tous, où les rencontres s’improvisent au grès du hasard. (cf. Szondi).
Selon J. Schotte, « l’accueil implique un laisser être [...] l’accueil doit aussi prendre en compte ce qu’il est justement, cette dialectique qu’il comporte d’une ouverture et d’une certaine fermeture, d’une enclore, parce que l’ouverture indéfinie est une forme de pathologie, et la fermeture indéfinie en est une autre. La dialectique de l’ouverture et de la fermeture qui recueille est la dialectique originaire de l’existence. [...] il faut une prise ouverte sur le monde qui accueille au lieu de vouloir dominer, et que soit donnée une tenue dynamique à cet espace-temps que nous sommes en train d’ouvrir. »

Le dispositif de soins ne tient plus compte uniquement des espaces thérapeutiques, des divers temps de synthèses, de réunions, mais également ces moments « sas », les temps interstitiels, comme les nomme P. Delion. « Les temps interstitiels sont ces moments entre deux activités thérapeutiques. [..] c’est à ce moment-là que les enfants ou les adultes fabriquent dans leur appareil psychique des représentations de ce qu’ils viennent de faire juste avant, et qu’éventuellement ils anticipent sur ce qu’ils vont faire juste après. Ce faisant, ils éprouvent la solidité de leur système représentatif et leur capacité à garder ou non en eux ce qu’ils viennent de construire avec les soignants. »

Démarrer dans une institution renvoie à la question du désir, qu’il faudrait approfondir.
Pour ma part, au Sessad, je m’aperçois que j’ai dans un premier temps observé le fonctionnement, les méandres institutionnels ; pour dans un deuxième temps, amener une façon d’être, une position (proche d’une position éthique), un style, dirai-je, qui a pu sembler pour l’équipe parfois en décalage par rapport à la place où sont mis des psychologues (c’est-à-dire dans une position de savoir). Il s’agit de déplacer et de créer du mouvement.
J’ai évoqué la question de l’accueil des adolescents au quotidien. Ce sont de petites choses mais qui ont peut-être permis d’apporter une liberté de circulation et des espaces du dire dans l’institution.
J’ajouterai qu’il faut faire avec les résistances institutionnelles. Parfois ce que l’on tente, échoue, trop de résistances. Un minimum d’implication des différents membres de l’équipe est indispensable. Et des fois quelque chose se met en mouvement. Il est nécessaire de toujours y revenir et de persévérer.
Peut-être pourrait-on dire qu’il s’agit démarrer toujours et encore quelque chose. Créer un mouvement. Réinterroger sans cesse la pratique clinique.

Marie Deshayes