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Blog-Tone : Mamie Ginou, dimanche 26 octobre 2008

dimanche 26 octobre 2008, par Michel Balat

Ce texte nous a été envoyé par Ginette. Nous lui avons demandé de nous autoriser à le publier. Après contact avec le rédacteur, un médecin probablement italo-irlandais, nous avons reçu l’accord de présenter cet écrit comme assumé par le nommé docteur O’gino.

Je m’étais assis à côté d’elle, sur un banc en PVC blanc, patiné par l’usure du temps et des fesses, dans le jardin de la « résidence du vieux chêne », une MRMMPT (Maison de Retraite Médicalisée Mais Pas Trop…), par un bel après-midi d’automne. D’autres pensionnaires, les plus valides, arpentaient les allées, vieillissant à petits pas, l’échine voûtée, les bras arc-boutés sur des cannes ou un déambulateur, emmitouflées dans une pèlerine grise, uniforme, estampillée du logo de la résidence sur le bras droit, et du numéro matricule sur la poitrine gauche. C’était une maison de retraite et de soins de longue durée pour nos aïeux en perdition, une institution à la pointe de la modernité en cette fin de 21ème siècle, avec toute les normes de sécurité s’y afférentes et où l’humain prenait une place prépondérante (chaque pensionnaire se voyait octroyer 45 minutes le matin et 45 minutes l’après-midi pour assister -c’était obligatoire- aux « ateliers d’humanité empathique et compassionnelle »). C’était un établissement modèle, fruit des années de cogitation, de débats parlementaires, de projets de lois, de décrets, de colloques internationaux animés par les plus grandes sommités médicales, spécialistes de la dépendance des 3ème et 4ème âges et de la progression inexorable des troubles de la sénescence, dont le syndrome « d’oubli de soi et d’abandon des autres », syndrome à la prévalence que l’on estimait exponentielle. Tout était parti du plan Alzheimer, lancé par un ancien président de la république, dans les années 2000, Nicolas Sarkozy, qui, à l’instar de la Pucelle d’Orléans qui voulait bouter les anglais hors de France, était déterminé à guérir les incurables, à promouvoir l’extinction du paupérisme après 22 heures, et prolonger le boulevard Saint Michel jusqu’au Mont !

Je m’étais donc assis à côté de ma grand-mère, Mamie Ginou, à l’occasion de ma visite hebdomadaire (c’était une clause du contrat d’admission : obligation aux ayants droits et assimilés d’assister le résident 2 heures par semaines dans son projet de vie, faute de voir ce dernier exclu du programme « santé-humanité », voire d’être chassé de la résidence.), lui apportant ce jour là des nougats.

« - Tiens Mamie Ginou, j’ t’ai apporté des nougats…

- Oh ! Des nougats ! Y sont pas trop durs j’espère. Les derniers qu’tu m’as offerts étaient juste bien. J’enlevais mon dentier et j’les laissais fondre dans la bouche…Un régal !...Même qu’après l’docteur y était pas content, vu qu’mon diabète dépassait la norme. « Madame Ginette ! D’après les recommandations internationales et ce dans le cadre de l’amélioration des conditions de fin de vie applicable stricto sensu au sein de notre établissement, vous ne devez pas dépasser 6,5% ! C’est à croire que vous n’avez plus envie de vivre ! Seriez vous en phase pré-dépressive ?, Avez-vous des envies suicidaires, des idées noires ? Avez vous perdu du poids ? Et … et votre libido ?... C’est vrai que depuis votre arrivée chez nous il y a 3 ans, vous n’avez toujours pas refait votre vie avec un autre pensionnaire… ». Tu parles, les mecs ici y sont tous vieux, moches et y puent la pisse. A part un jeune infirmier. Mais y est pédé… « Madame Ginette, je vais vous programmer une consultation avec le Docteur Deubeulmort, notre séno-psychiatre vacataire. Mais avant j’exposerai votre cas lors de la réunion multidisciplinaire médico-administrative qui se tient le 1er jeudi de chaque trimestre. »

- Si je comprends bien, à t’apporter des nougats je t’apporte aussi des emmerdes.

- Oh, t’inquiètes pas mon p’tit garçon. Avant qu’ils ne percutent et que des décisions soient prises, j’ai le temps de mourir 4 fois d’un coma diabétique. La prochaine fois, si tu pouvais me ramener un paquet de couches. Comme j’ai qu’une petite retraite, j’ai droit qu’à 2 couches par jour. C’est pas Byzance !

- Tu sais bien, Mamie Ginou, c’est formellement interdit d’apporter du matériel de l’extérieur. Y sont vachement strict la dessus. C’est pour la lutte contre les maladies nosocomiales. Tu peux te faire exclure sur le champ si ils te piquent avec une couche qui vient pas d’ici.

- Ben justement, j’me demande si ça s’rait pas mieux… Mais toi, raconte un peu. Donnes moi un peu de tes nouvelles. Et dehors, derrière les murs, qu’est-ce qui se passe ? Tu m’as ramené un journal ? « La gerbille assassinée », j’aime bien, pour l’irrévérence et l’album de la comtesse…

- Ben, non Mamie Ginou. J’ai du le jeter dans l’incinérateur en arrivant ici, les gardiens à l’entrée l’avait repéré dans mon pantalon…

- Ah merde ! J’vais devoir me contenter de « la chaîne de l’espoir » sur canal 69. Et tes petiots, comment y vont ?

- Ah !... J’ai des soucis avec le cinquième, Maël. Tu sais celui que j’ai eu avec Hélène, ma 3ème femme. Il va sur ses 7 ans et y refait caca dans sa culotte. Pourtant à 2 ans, il était propre et fier de l’être. Je me demande si c’est pas à cause du divorce… Je t’avais pas dit ?... Hélène et moi, on va se séparer… Pourtant on lui a encore rien dit, on veut l’protéger au maximum. Mais c’est sur que parfois ça pète à la maison et que, depuis sa chambre, y doit entendre des trucs… On l’a emmené à la maison médicale. Le docteur y avait pas l’temps de s’en occuper. Mais on a été reçu par une auxiliaire de psycho-puericulture.

- Et qu’est-ce qu’elle en pense ?

- Ben elle lui a fait faire des dessins et elle pense que c’est un retour au stade anal avec conflit anxiogène de séparation qui déstabilise l’évacuation des humeurs tant physiques que psychiques… Une sorte de maladie des boyaux d’la tête…

- Et qu’est ce que vous allez faire ?

- Ben elle nous a dit qu’on va avoir la visite à la maison, à plusieurs reprises, d’une auxiliaire de pédo-éducation. Elle veut voir comment Maël évolue dans un contexte conflictuel, quelles sont ses capacités à autogérer ses angoisses, quelles attitudes on doit avoir quand y fait dans sa culotte. Par exemple, faut pas dramatiser, ni l’engueuler. On risque de le braquer. Mais faut pas non plus rester indifférent. Faut qu’on lui montre que nous percevons sa souffrance profonde, qu’on est compatissant, et qu’on est prêt à l’écouter, à discuter avec lui de sa déstabilisation et de son trouble de l’évacuation… Après elle va faire un rapport, le soumettre à son chef, et y vont s’réunir avec toute une équipe pour étudier le cas du gamin… Normalement, dans six mois, il devrait être revu par une assistante de pédo-psychologie clinique appliquée

- Ah… Et pour le soigner ?...

- Ben après tout ça, elle va essayer de nous décrocher un rendez-vous avec le professeur Ch. E. Moquette. Tu sais celui qu’on voit partout à la télé, chez Delavenue, chez Mireille Mousquetère, chez Bernard Apfelstrum… C’est le spécialiste mondial de la pédopsychiatrie en souffrance. Y donne même des interviou dans « femme libérée », « parents, z’êtes pas cons », « mon gamin, ma maison »… C’est sur que pour le rencontrer faudra être patient… Mais si on est pressé, on peut avoir un rendez-vous un peu plus vite avec un de ses assistants…

- Et Maël, dans tout ça, t’en fait quoi en attendant…

- Ben… on lui a racheté des couches…

- Ben dis donc ! Quel bordel ! Ton p’tit Maël, y est pas prêt d’arrêter d’chier dans ses culottes. Faut croiser les doigts pour qu’il soit vu par un psy avant sa communion. Ca f’rait tache avec une aube toute blanche… De mon temps, c’était déjà comme ça… Y a rien d’ changé… Moi aussi j’ai eu des soucis avec ton père… Il a pissé toutes les nuits dans son lit, jusqu’à 13 ou 14 ans… Mais à l’époque, y avait des médecins, les « généralistes » qu’on les appelait. Des médecins de proximité, qu’on pouvait joindre pratiquement 7 jours sur 7… J’ai consulté avec ton père… Y m’a d’abord rassurée, déculpabilisée… Puis on a essayé des médicaments, du « pchic-pchic » dans l’ nez le soir avant d’aller dormir… Comme ça marchait pas trop fort, il m’a proposé d’aller voir un psychia-truc. A l’époque, les psychiatrucs étaient enfermés avec leurs malades dans un grand centre, une sorte de grande demeure avec dépendances, entourée d’un haut mur de briques rouges. On l’appelait « la grande maison » ou « le donjon de Naheulbeurck »… Quand on passait à côté, on avait les pétoches… Personne ne savait ce qu’il s’y passait… De temps en temps on entendait un cri… Des fois on voyait arriver une ambulance à toute allure… Parfois c’était un corbillard qui en sortait…On rasait les murs de peur de s’retrouver happé et interné… Même que certains parents en profitaient ; « si t’es pas sage, on va t’emmener à la grande maison. Si tu travailles pas à l’école, le docteur y va t’faire une piqûre et on va t’enfermer dans le donjon de Naheulbeurck ! »… Alors tu parles, quand l’ docteur y m’a demandé d’aller voir un psychia-chose, j’ai tout de suite pensé à la grande maison… Y vont m’enfermer mon petit pour toujours dans le donjon…Mais y était tellement gentil mon médecin, que je lui ai fait confiance. J’ai pris un rendez- vous avec ton père. Deux mois d’attente pour être reçue d’abord par une assistante sociale, qui voulait me persuader que « si votre enfant est énurétique, c’est à cause d’un lien mère-enfant trop fusionnel qui l’empêche d’exprimer son oedipe ». Suite à l’entretien, plusieurs rendez-vous à la file avec une psychologue qui faisait faire à ton père des dessins. J’ m’étonne plus qu’y soit devenu infographiste… « Il faut le laisser s’exprimer par les formes et la couleur afin qu’il évacue la pression maternante qui bouche son horizon et empêche ses pulsions de jaillir »… En attendant, ses pulsions, ton père y les pissait chaque nuit dans son plumard… Bien évidemment, les rendez-vous c’était toujours pendant les heures de classe. Quand j’ai demandé si ton père pouvait pas être reçu un mercredi après midi, on m’a répondu que « la psychotsointsoin était aussi mère de famille et qu’elle devait s’occuper aussi de ses enfants, elle … ». Désespérée, je retournais chez mon docteur et lui expliquais mes déboires et surtout que, mois après mois, ton père pissait toujours au lit… Il était aussi désemparé que moi le docteur… Il décrocha son téléphone. « Allo ? Bonjour Ginette – elle s’appelait Ginette, comme moi ! -, Est-ce que vous pourriez recevoir un de mes jeunes patients qui pose de sérieux problèmes d’énurésie ?... » Cette brave Ginette c’était, ce qu’on appelait à l’époque, une psychiatre libéral… Une doctoresse gentille comme tout, qui consultait dans sa maison… Dans sa maison, tu t’ rends compte ?... Essaye d’imaginer un peu, maintenant, t’es malade, tu tousses, tu fais de la fièvre et tu vas toquer à la maison du docteur, y t’ouvre la porte avec un grand sourire, y t’fait asseoir dans son bureau, il t’examine … eh oui, il t’examine… comme dans les vieux films… et il te donne une ordonnance pour aller chercher tes médicaments… Tu peux pas te rendre compte… T’es trop jeune. T’as connu qu’ les maisons médicales pluridisciplinaires… Et ben le docteur Ginette, c’était pareil. Elle nous a reçu dans sa maison, le mercredi après midi, parfois même le soir après l’école ou pendant les vacances, et elle a soigné ton père. 6 mois après y pissait plus au lit…

- Ben merde alors… T’en as d’ la chance d’avoir connu la belle époque… Et elle est devenu quoi ta docteur Ginette ?...P’t être que… pour Maël … le soir, au black… on pourrait p’t être s’arranger…

- Rêve pas mon p’tit gars… Elle a du prendre sa retraite et elle est certainement partie finir ses jours au soleil. Maintenant, t’as plus le choix. Il te reste que l’institution psychiatrique décentralisée et de proximité. Bon courage, petit !... »

octobre 2008