Accueil > Les entours > Invités > Broyer du noir

Broyer du noir

par Marie-Odile Supligeau

jeudi 16 mars 2006, par Michel Balat

Broyer du noir

Le transfert dans tous ses états

- "Vous n’avez qu’à dire que votre café est meilleur que le leur !"

- "C’est faux ! Je provoque avec un minable pot de lyophilisé égaré sur ma table de travail.
Pourtant, je ne cèderai pas : je ne cotiserai plus au café commun, dans ces conditions. Je boirai seule, ostensiblement, mon eau bouillante aromatisée de granulés bruns."

"Bruns ?".

Brun déporte mes pensées vers une collègue, éloignée de nous par la maladie, et qui, en des "moments agréables, où on laissait filer le temps en sirotant un café", nous lut « Matin brun »(1). Aventure édifiante de deux hommes ordinaires, "ni des héros ni des purs salauds", négociant leur tranquillité à coups de petits compromis de rien du tout, de lâchetés sans importance, de conformités animalières, au coeur d’une époque trouble où montait en puissance un régime extrême : "l’Etat brun ". Jusqu’un banal dimanche de bières et de belote, où le délit s’entendit "avant". Avant l’énoncé qui désigne la transgression. Un dimanche où, sans crier gare, la milice arrêta d’innocents coupables, sanctionnant-là des actes décrétés interdits, dans l’après-coup de leur commission. Je n’eus de cesse, dès lors, d’offrir l’opuscule brun à mes amis, mes enfants et leurs copains, à mes vieux compagnons militants. Je le relis obsessionnellement comme on prie, comme on se drogue ou comme je réécoute les chants de la Commune, quand de mauvais affects m’envahissent.

Pour éviter de broyer du noir.

- "Dites leur que votre café est meilleur ! prescrivait le Docteur de la Klinic. Et méfiez-vous : à force de dénoncer minutieusement des dysfonctionnements institutionnels, de vous rebiffer avec désinvolture, vous risquez de jouir hystériquement de vos plaintes. Même si vous avez raison !" diagnostiquait et pronostiquait l’excellent clinicien, brisant le coutumier récit de mes lamentations.

(...)