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Canet, le 03 mai 2010 Le refoulement historique – Onfray - La levée du refoulement
lundi 3 mai 2010, par
Canet, le 03 mai 2010 Le refoulement historique – Onfray - La levée du refoulement
M. B. : Nous sommes le 3 avril…
Public : Mai...
M. B. : Lundi 3 mai 2010 ! Comme le temps passe, c’est effrayant… Aujourd’hui, j’avais envie de vous re-parler de quelque chose, de l’histoire du zéro et de tous ces machins-là, du dernier de la fratrie par rapport à l’aîné. Je ne sais pas si vous vous souvenez, je parlais d’une patiente à propos de la tragédie vécue par sa famille, une tragédie dans l’Histoire avec un grand H, pas simplement dans son histoire familiale. Je ne vous donnerai pas de noms mais je ne peux pas inventer la situation, j’avais parlé d’un peuple qui avait vécu une tragédie atroce, ce peuple, c’est l’Arménie. Je lui avais donné un texte où apparaissait son histoire de façon très voilée mais après l’avoir lu plusieurs fois, elle n’avait jamais éprouvé le besoin de m’en parler. Aujourd’hui, elle l’a évoqué avec une certaine émotion, les choses que je disais l’avaient beaucoup touchée, même si c’était allusif, et elle m’a demandé si ma connaissance de la tragédie arménienne était récente. Je lui ai répondu que depuis les années soixante dix, j’étais déjà au fait de ce qui s’était passé en Arménie, mais en même temps je sentais bien que ce n’était pas suffisant, elle avait senti un certain engagement de ma part même si je n’ai jamais milité, ni écrit des textes sur l’Arménie. À ce moment-là, m’est apparu avec beaucoup de clarté quelque chose qui couvre tout un champ de préoccupations autour des camps de la mort et toutes ces choses-là… Face à une connaissance intellectuelle, on peut avoir des discours relativement convenus, mais à un moment donné, il y a quelque chose qui vient frapper, même si directement je n’ai pas de parents juifs, arméniens, roms, ni quoi que ce soit… Un jour, ma copine Janice Deledalle dont le nom de jeune fille est Israël m’a demandé pourquoi je m’intéressais autant à la question des camps, j’ai eu une réponse que je qualifierai d’intellectuelle… Grâce sans doute au livre Howard Zinn… vous le connaissez ? J’emmerde tout le monde avec ce livre depuis quelque temps mais c’est une rencontre, comme on en fait une fois tous les dix ans, l’autre étant Klemperer… Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis aux éditions Agone, ça vaudrait vraiment le coup d’en avoir quelques uns pour le stand des journées avec, avec deux autres titres, L’impossible neutralité et Désobéissance civile et démocratie…Cette patiente m’a posé cette question, comment vous êtes-vous intéressé à cette question arménienne ? Et j’ai visualisé quelque chose, en 1970, on avait fait un meeting avec les copains contre la guerre du Vietnam, ça se passait au cinéma le familial qui n’existe plus…
Georges Perez : En face du palais de justice…
M. B. : Ah non, Georges, le Familial était à côté du petit pont en fer qui va vers le passage des Variétés…On faisait des meetings de soutien pour les Vietnamiens, les Cambodgiens et les Laotiens puisque en 1970, tous ces pays-là étaient bombardés en douce par les Américains, mais ça filtrait… A l’époque, je faisais de la politique de manière assez féroce, on était très au courant de ce qui se passait dans le détail dans ces pays, aucun doute là-dessus… J’avais reçu chez moi l’ambassadeur du gouvernement révolutionnaire populaire du Vietnam qui avait passé trois jour à la maison, il s’appelait Huin Cong Tam, un type extraordinaire, très fin, il était d’abord venu avec son interprète mais quand il a vu qu’on pouvait causer, il parlait un français magnifique, on a pu parler tranquillement et c’était très chouette… Quand j’ai vu les Khmers rouges, j’ai eu un haut le cœur, ces types parlaient dans le plus pur style stalinien, une horreur, un langage bureaucratique, c’était infâme j’en avais parlé à Huin qui m’avait dit ces types, ils ne sont pas bien, mais il était ambassadeur, alors… Et c’est cette image du meeting qui est revenue… Il y en a une autre qui est arrivée quelques années après, vous voyez c’est une drôle d’histoire, comme une psychanalyse, on remonte des trucs… En 77-78, quand Sihanouk est destitué au Cambodge, les Khmers rouges arrivent au pouvoir, l’image vient d’un un film très court où on montrait Phnom Penh, une ville de près deux millions d’habitants, vidée de ses habitants et j’ai pensé : « Combien de morts ? »… Car on ne déplace pas deux millions de personnes d’une ville sans perpétrer des massacres, vous connaissez la suite, pas besoin de vous faire un dessin… Ces types sinistres, c’est comme si on ressentait la pulsion de destruction à l’état brut, ça me fait penser à une photo très célèbre d’ Hitler en train de vendre le journal de l’extrême droite en 1923, sous la pluie, tout seul, ça donne la même impression… Les Vietnamiens, je savais bien le genre de régime qu’ils allaient s’installer, un régime bureaucratique à la stalinienne, mais là, on est dans une dimension totalement différente, quasiment un auto-génocide, le ressenti de la pulsion de mort à l’état pur… à la suite de la séance avec cette dame, sont arrivés les années 77, Staline, un précurseur des camps, j’étais au courant depuis longtemps de la question des camps, de celui de Vorkouta tristement célèbre dans les années trente dans lequel il traitait tous les opposants de manière inouïe, une horreur, les internés arrivaient à faire passer des messages, j’avais eu l’occasion début 70 de lire déjà ces choses-là… Dans les années trente, Staline a réalisé le grand déplacement de population Tchétchènes et Ingouches pour résoudre le problème de l’opposition dans ces pays-là, plusieurs millions de personnes déplacées en Sibérie…
Comment se débarrasser des opposants, de passer des camps de la mort à cette fois-ci la logique de la destruction, comment détruire systématiquement avec une sorte d’économie bureaucratique… On peut dire qu’on est arrivé là au maximum de ce qu’il est possible de faire…
(…)