Accueil > Causeries de Canet > Les causeries de Canet 2005-2006 > Canet, le 15 mai 2006 Etude autour de la fonction indiciaire de (...)

Canet, le 15 mai 2006 Etude autour de la fonction indiciaire de ‘l’avec’

lundi 15 mai 2006, par Michel Balat

Canet, le 15 05 2006

Etude autour de la fonction indiciaire de ‘l’avec’

M. B. : La dernière fois j’avais abordé ce qui me paraissait abordable dans l’état actuel du développement, à savoir tout ce qui concernait la fonction iconique, et aujourd’hui j’aimerais en venir à la deuxième grande fonction, à savoir la fonction indiciaire, pour en parler. C’est une fonction qui est particulièrement intéressante. L’indice peut être pris au sens de l’indice policier, excepté qu’il prend une tournure vraiment plus essentielle chez Peirce, pour la grande raison suivante, c’est que l’indice est la condition même de l’exister. Et c’est un peu autour de cette idée que je voudrais essayer de dire quelques petites choses aujourd’hui.

Vous avez dû remarquer que la sémiotique dont je vous parle a quelque chose d’essentiel, à savoir le fait qu’elle part du point de vue qu’il n’y a pas un monde qui serait là, à disposition, et qu’on viendrait commenter par des signes, qu’on viendrait en quelque sorte signifier, mais il y a la signification, et c’est elle qui crée le monde. Ce que je vous dis ne constitue pas un scoop parce que c’est impliqué par tout ce que je raconte ; et j’ai prononcé ces phrases plusieurs fois, dans un sens qui est celui que nous avons constamment adopté à propos de l’enfant. Comme vous l’avez remarqué, chaque fois que j’ai été amené à parler du développement de l’enfant, j’ai évité de le prendre sous l’angle génétique qui, de mon point de vue, est une horreur absolue. Je hais la psycho génétique parce que c’est barbare et surtout con : Piaget et consorts ne se rendent même pas compte que, dans le tour où ils sortent un lapin de leur chapeau, ils posent d’abord un préalable, et c’est placer d’abord le lapin au fond du chapeau ; et ils font comme s’il y avait un développement naturel de l’enfant ou de qui sait quoi, ce qui est une horreur. Piaget c’est mon vieil ennemi. Je l’ai eu quand même, il est mort finalement… (rires) je lui ai survécu. Je crois qu’il figure parmi les plus cons. Évidemment, c’est un type remarquablement intelligent, ce n’est pas la question, mais adhérer à cette démarche intellectuelle qui pose d’abord que les choses sont là, et que, ceci étant admis, elles sont ensuite ornées de signes, si je puis dire, comme si on faisait une ornementation, c’est adhérer à la démarche la plus absurde qui soit.

Ce sont des choses qu’on voit, et il y a quelque chose là-dedans qui est inévitable quand même, disons-le. On en a déjà parlé, et je vous disais que lorsqu’on définit un concept quelconque, on a tendance à prendre le concept pour quelque chose, et on le traite comme ça, et ce n’est pas gênant en soi. C’est ce que font les mathématiciens tout le temps : « prenez un espace vectoriel ! », eh bien, allez l’attraper, vous, l’espace vectoriel !… Et pourtant c’est quelque chose qu’on peut lire : « prenez un cercle ! », eh bien, justement, cette histoire de cercle arrive à propos, parce qu’en mathématique ça n’existe pas… les objets dont parlent les mathématiciens n’existent pas, ce qui fait qu’ils ne sont pas susceptibles de se tromper. Ceux qui sont les plus attachés à l’existence sont ceux dont les mathématiciens disent qu’ils sont des « objets-limites ». Et, par exemple, une droite est dite sans épaisseur, de sorte qu’on imagine alors quelque chose qui, petit à petit, deviendrait moins épais jusqu’à la limite où il ne le serait plus, ce qui constitue une grande erreur parce que ce n’est même pas ça. On peut parler d’une droite, on peut travailler dessus, à condition de penser qu’une droite ça n’existe pas, sans quoi l’on est foutu. On a donc toute cette dimension, et l’on passe notre temps à faire ça.
Observez n’importe quel moment dans votre vie, et vous verrez que vous êtes en train d’entifier ou d’hypostasier — entifier, ça vient de ens qui signifie étant — ou d’étantiser les concepts. Nous passons notre temps à tendre à l’entification ou à l’hypostase, donc on peut dire que c’est là tout un ensemble, une donnée de la pensée. Si nous ne pouvons pas nous guérir de cette orientation, par contre nous pouvons nous soigner, alors nous devons constamment penser que nous avons hypostasié : ce que nous venons de traiter comme une chose n’est pas une chose. C’est très important ça, et c’est une gymnastique mentale qui est absolument indispensable, parce que c’est grâce à cette gymnastique que vous pourrez accéder à cette idée que le signe crée le monde.

(…)