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Hommage à Zoubida Hagani
Oran 1997 - Michel Balat
vendredi 17 juin 2005, par
La Fortune était cette déesse des Latins dont l’original était Tuché, déesse du panthéon Grec, qui symbolisait la rencontre et le hasard, et donc le hasard de la rencontre. “ Comment as-tu rencontré Zoubida ? ” n’a pas d’autre vraie réponse, s’il y a en une, que “ par hasard ! ” ; car énoncer les circonstances, suivre les trajectoires de chacun, ne pourra jamais que démontrer “ qu’il ne pouvait en être autrement ”. Alors disons que Zoubida est descendue, de l’Olympe, de l’Atlas ou du Canigou, pour déposer autour d’elle de la tuché.
C’était une de nos premières rencontres. Une soirée entre amis. Avec elle, inutile de ronronner, d’échanger des banalités rassurantes dont l’unique fonction est de combler les demandes d’amour réciproques et informulées. Non, non, il lui fallait sentir le présent, bousculer les habitudes, affirmer la présence de chacun, donner ses chances à de nouveaux liens. C’est autour d’une phrase que les événements se sont précipités. “ Dans mon quartier d’Oran ”, nous faisait-elle remarquer, “ un proverbe dit ‘tes voisins sont plus proches que tes parents’ ”. “ Quel quartier ? ”, demande Raymond. Vous l’avez peut-être déjà deviné, ils étaient nés et avaient tous deux passé leur enfance dans la même partie de la ville. Josette avait vécu dans un village voisin. Échanges, joie, stupeur, rires, rien ne manquait. Raymond est actif dans la communauté juive. “ Mais je passais mes journées chez la femme du rabbin ! ” s’exclame Zoubida, “ chez nous, il n’y avait pas de séparation des cultures ; ‘tes voisins sont plus proches que tes parents’ était respecté à la lettre, une sorte de principe éthique. ” Raymond et elle échangent alors quelques mots d’arabe, quelques mots d’hébreu, de ces mots qui naissent et nichent dans le giron de la mère, presque des mots de passe. L’enthousiasme aidant, Zoubida entame une comptine enfantine. Raymond la reprend, les yeux brillants : “ je ne l’avais plus chantée depuis mon enfance ; je ne savais pas que je la savais encore, je ne savais même pas que je la savais ”.
Un souvenir monte alors en moi, enfant, près des berges de la Têt, il fait beau, tout est calme, quelques phrases en catalan, une petite mélodie, traînent dans le paysage.