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La constellation et le Balint
mardi 18 septembre 2007, par
Christophe Roffi (éducateur spécialisé dans l’unité court séjour au centre de psychiatrie infantile « les Goélands » Spy, Belgique)
La constellation et le Balint :
La constellation contre-transférentielle.
« Il y a les ça-va-de soi et les ça-va-pas de soi ! »1
« (Ce) fut seulement l’une des nombreuses situations qui ont confirmé ma conviction que les gens ne remarquent que ce qu’ils veulent remarquer »2
« Pour pauline, le yapounisme tombait sous le sens, lui ayant été inculqué dès sa plus tendre enfance. On le lui avait enseigné, elle y adhérait. Jamais elle n’aurait pu sérieusement considérer que le yapou fût humain. Mieux, jamais elle n’aurait eu le moindre doute concernant l’essence du yapou. Une fois, elle avait entendu son frère Cecil, qui était un spécialiste de l’histoire culturelle du bétail, dire qu’un savant, environ cinq cents ans auparavant, avait soutenu la thèse que le Yapou était un être humain. Ce savant s’appelait Mister Kerela, c’était la femme du directeur du ministère du Bétail, il avait publié le résultat de recherches menées sur terre dans un ouvrage intitulé discours sur l’émancipation yapou, dans lequel il adoptait une position soutenant les droits fondamentaux des yapous, critiquait la nature idéologique de la thèse d’après Rosenberg et prônait une émancipation du Yapou. Personne ne lui avait prêté attention, son mari demanda même le divorce et le comique de la situation atteignit son comble lorsque son propre urinoir télépathe capta sa réticence « est-il juste d’employer un être humain comme urinoir ? » et refusa d’ouvrir la bouche, si bien que le savant fut obligé d’avoir recours à un aspirateur dont l’usage est exclusivement réservé aux esclaves noirs... »3
Un nouveau patient arrive et je calque des images d’anciens patients sur ce nouveau.
Certains de ses modes de fonctionnement me font penser à d’autres patients que nous avons accueilli, comme la façon dont se manifestent ses angoisses, ses peurs, sa jouissance. Cela me permet de traiter les diverses manifestations de ses symptômes, ses troubles, ses angoisses et mes résistances.
En prenant appui sur ma pratique, cela me rassure, calme mon angoisse de recommencer à zéro avec ce nouvel arrivant et au loin de le perdre. Perdre quoi ? Qui ? On dirait une répétition.
Derrière cela, il y a aussi une implication d’un savoir. Qui implique de savoir d’où on vient.
Sans m’en rendre compte, je calque des images négatives sur ce nouveau patient, et de plus, ça se colporte.
Ces identités fictives font leur chemin chez les adultes et les patients. Voilà donc ce nouveau patient -à peine arrivé- qu’il est déjà quelque peu catalogué.
Je ne suis pas seul à penser qu’il rappelle certain des enfants difficiles.
En lui mettant un signifiant quelque peu négatif, cela rappelle à l’équipe les difficultés que nous avons eues avec les trois autres enfants à qui il fait penser. Cela crée certaines zones d’incertitudes, d’angoisse vis-à-vis de la violence que ce jeune va faire subir à l’institution (patients et adultes).
Le voilà à peine arrivé qu’un signifiant lui est apposé.
Cela a comme résultat une certaine angoisse chez des éducateurs et une peur chez des patients qui sont sensibles aux angoisses des adultes et sur cet enfant qui peut coller à l’image qu’on lui donne. 4
Comme un Autre du transfert où l’on serait un tout où ce supposé sujet deviendrait un objet de l’Autre.
Ceci revient alors à une catastrophe pour le patient.
Pour le dire avec Lacan : « A partir du moment où on connaît la vérité, celle-ci nous ment ».
Le travail sera de dé-stigmatiser cette identité plaquée en travaillant chez l’enfant, les adultes, les partenaires, l’image de cet enfant que l’on transmettra aux autres.
Le travail consiste aussi et surtout dans le fait de me poser la question « pourquoi j’ai eu telle ou telle image de cet enfant. »
Dans ce contexte, Lacan parle du contre-transfert en termes de ‘bêtise’ de l’analyste. Présupposer des choses chez le patient. Qui ne sont que des présuppositions en direct ligne de notre imaginaire.5
Le travail déjà commencé avec ce patient, il me dit qu’une personne de son entourage lui propose de porter plainte contre un membre de sa famille. Cela me rappelle un moment de mon histoire ou moi-même je suis amené à porter plainte contre un membre de ma famille.
J’en parle dans le local éducateur. Surprise : certaines des personnes présentes semblent mal à l’aise. Aurai-je profané un lieu saint ? Les dires d’une partie de mon histoire leur rappellent t’ils une situation ? Cela a-t-il ouvert une porte de leur inconscient ?
Bref !
Cet enfant est en errance, comme s’il était dans un labyrinthe en train de chercher une issue. Dans ce labyrinthe, il y rencontre diverses personnes à qui il adresse des propos d’une façon que l’on peut interpréter comme étant agressive. C’est sa façon à lui de s’adresser à l’autre. Mais l’autre peut, ou ne peut pas, accepter sa façon de s’adresser, de parler, et lui renvoie une image positive ou négative. Le jeune patient est alors confronté à une impasse et devient quelque peu agressif. Il va errer dans un autre couloir et peut tomber cette fois sur une personne qui le mettra devant une voie de sortie envisageable.
Dans les méandres du labyrinthe, il y a ce qu’on pourrait nommer des guides de sens, des interlocuteurs qui vont l’accompagner par le biais d’un arrêt en atelier, en thérapie, ou autre moment vers un sens de son errance, un sens de sortie possible. 3
Il peut aussi escalader le mur pour sortir d’un moment d’impasse - mais il rentrera vite vers l’intérieur du labyrinthe, car dehors il est beaucoup moins évident d’être entendu de la même façon que dans l’institution.
Les culs de sac du labyrinthe sont comme des signifiants vides de sens, ou qui le renvoient à une image négative de lui : il y répond en étant agressif, en étant le signifiant.
Les signifiants qu’on lui adresse... pourquoi les lui adressons-nous ? Est-ce ici qu’entre en jeu le contre-transfert ?
Que lui voulons-nous ? Qu’il réponde conformément à notre attente ?
Lors de la formation, quelqu’un nous parle du transfert comme d’une métaphore du frigo.
« C’est de prendre une chose dans un frigo et de le mettre dans un autre frigo. »
Mais dans un frigo, il se peut qu’il y ait des aliments périmés sans qu’on le sache - mieux vaut ne pas mettre ces aliments dans l’autre frigo pour ne pas le contaminer.
D’un frigo à un autre, les bactéries du signifiant peuvent en contaminer beaucoup d’autres, voire toute une équipe de frigo...
Cependant, et heureusement il y a des antibactériens : le Lacan bactéricide, le Delion bactéricide, le Oury bactéricide, le Freud bactéricide et bien d’autres pour désinfecter le frigo avec leurs manuels mis en vente dans toutes les bonnes librairies. Ils sont, comme tout bon manuel, difficiles à comprendre ; il y a des moyens pour les comprendre comme les séminaires, les cartels ... mais même désinfecté, il y reste toujours des vestiges.
La psychanalyse comme outil m’aide à réapprendre à travailler chaque fois différemment.
Ces vestiges peuvent être un peu d’amour ou un peu de haine voir de l’ignorance du savoir de notre propre bêtisier. 6 Peut-on dire que c’est une sorte d’envahissement d’un signifiant à un Autre ?
Cet enfant me rappelle des bribes de mon histoire, comme beaucoup d’enfants qui viennent aux Goélands. Et qu’en est-il de l’après notre analyse ? Etre en supervision suffit-il ? Y’a-t-il hygiènisation après ? Entre le un dire et le tout dire, Il y a-t-il des choses à dire et à ne pas dire ? 7
L’hygiènisation du contre-transfert c’est la supervision et/ou l’analyse ?
En somme le prix d’une très grosse voiture, voire une maison !
Ces vestiges, c’est aussi les enfants avec qui nous avons eu des difficultés, qui nous ont mis dans des situations où nos nerfs ont lâché tant ils nous en faisaient voir. Répétition ?
Et cela le patient le sent, il nous le dit par des « va te faire foutre », « ta gueule connard », ainsi que par des passages à l’acte comme frapper, lancer des objets sur des éducateurs etc. Mais un éducateur doit restituer/reformer/reconstruire le lien entre le patient et l’éducateur.
De par l’incompréhension de certains mots du langage compliqué des adultes, notre jeune patient se sent agressé par notre façon de lui parler et nous renvoie une réponse fulgurante. A son arrivée, il disait « il faut me parler doucement, calmement », et en effet, il a raison. Il faut y aller doucement et calmement.
Puis cela fonctionne, un lien se fait. Le transfert va et vient. On peut le percevoir lorsqu’on se dit « on les aime bien quand même, ils nous apportent beaucoup, grâce à eux j’apprends,... ». Sous des aspects d’affectivité soudaine du patient vis-à-vis de nous, nous sommes dans l’erreur.9
Comment expliquer ma recherche incluant des morceaux choisis de ma vie et son impact sur un, plusieurs patients ?
Et bien j’en parle à des collègues de « la clinique de moi-même » certains d’entre eux interprètent, font barrage à leur propre vécu. Avec d’autres, on s’en sert comme apport, matériel pour la thérapie ‘institutionnelle’, pour avancer dans le travail avec les patients. On s’aperçoit que les réunions payées ne sont pas toujours les payantes. (D’où l’importance de se parler hors réunion, lors de moments de rencontres fortuites).
Dans une équipe, il est important de ne pas être seul dans sa pratique. Pour ne pas être seul, il y a les réunions d’équipes, les réunions de reprise et pour ma part mon analyse et les supervisions.
Certains font une sorte de résistance face à un miroir que peut-être le psychotique. Sorte de psychanalyse parfaite mais horriblement angoissante.
Certains diront qu’ils ont de la technique psychanalytique.
Mais attention de ne pas confondre technique et contre-transfert : c’est ici qu’entre l’Ethique.
1 Jean Oury, entendu lors de la formation du D.U de Psychothérapie institutionnelle, 12-01-2006.
2 Jerzy Kosinski, Cockpit, Paris, le livre de poche, 1978, page 142.
3 Shozo Numa, Yapou, bétail humain, vol 1 ch. IV - Discours sur l’essence des yapous, Dijon-Quetigny, éditions désordres, 2005, page 65.
4 Effet Rosenthal : le patient « deviendra » ce que le soignant « présuppose » de lui.
5 (Jorge Aleman, Le transfert négatif, Collection rue Huysmans, Navarin, diffusion Seuil, page 66, édition 2005)
6 Tuteur de résilience selon Cyrulnik.
7 « ...- à la jonction du symbolique et de l’imaginaire, cette cassure, si vous voulez, cette ligne d’arête qui s’appelle l’amour - à la jonction de l’imaginaire et du réel, la haine - à la jonction du réel et du symbolique, l’ignorance. » in Jacques Lacan, le séminaire : les écrits techniques de Freud, livre I, Paris, le Seuil, 1975, page 298).
8 (cf. intervention de J-A Miller, histoires de ... psychanalyse, les pratiques du tout dire, France Culture, 14 juin 2005)
9 Jacques Lacan, Ecrits, Seuil, Paris, 1966, Intervention sur le transfert, page 225-226.