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La folie n’est pas une infraction

Par Eric Favereau in Libération du 19/03/12

mardi 20 mars 2012, par Michel Balat

SOCIÉTÉ Hier à 0h00

« La folie n’est pas une infraction »

Psys et membres d’associations de malades étaient réunis samedi en Seine-Saint-Denis pour
contester la politique du gouvernement, à l’appel du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire.

Par ERIC FAVEREAU

Ce fut le moment le plus chaleureux, le plus symbolique aussi. Samedi, à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-
Denis), aux portes de Paris, tout le monde est debout dans ce hangar où s’entassent plus d’un millier de
participants à l’appel du Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. Et la foule d’applaudir à tout rompre le
professeur Pierre Delion, pédopsychiatre à Lille.
Le vieux médecin est ému. Il hésite. Il a été mis au pilori ces derniers jours car il pratique dans son service le
packing : une technique de tradition psychanalytique utilisée pour des patients autistes très gravement atteints,
mais fortement contestée par certaines associations de parents d’autistes. Elle consiste à recouvrir dans un drap
humide le malade, puis à le réchauffer progressivement.
« Scientiste ». Le 9 mars, la Haute Autorité de santé (HAS) a déclaré que non seulement « le packing ne devait
en aucun cas se faire », faute d’avoir été évalué, mais aussi que « la psychanalyse, comme la psychothérapie
institutionnelle, n’étaient pas recommandées dans la prise en charge de l’autisme ».

Une prise de position polémique, dernier avatar d’un vieux conflit entre la psychiatrie biologique et
comportementale d’une part, une psychiatrie plus humaniste et proche de la psychanalyse de l’autre. Les
pouvoirs publics ont choisi. Depuis plus de quatre ans, la politique gouvernementale en matière de psychiatrie a
été fortement déséquilibrée, renforçant le volet sécuritaire. D’abord, en 2009, avec un plan de sécurisation des
hôpitaux psychiatriques (multiplications des chambres d’isolement, instauration des bracelets
électroniques, etc.). Puis avec une loi instaurant, en 2011, les soins obligatoires à domicile (et plus seulement à
l’hôpital). Et voilà que tombent ces recommandations polémiques de la HAS…
A quelques semaines de l’élection présidentielle, le rassemblement initié par le Collectif des 39 autour du thème
« quelle hospitalité pour la folie en 2012 ? » avait valeur de bilan et de symbole. Simple coup d’épée dans l’eau
un brin nostalgique ? Ou début de reconquête ?

Psys, soignants, membres d’associations de malades, ils sont venus très nombreux. Avec la forte envie d’en
découdre, en particulier contre la HAS et son « faux discours scientiste ». Le collectif a d’ailleurs clôturé cette
journée très offensive en appelant tous les psychiatres de France à ne plus « collaborer » avec la Haute Autorité
de santé. Dès la matinée, Pierre Joxe, figure de la gauche, lançait : « Vous n’avez rien de moribonds. Ce ne sont
pas quelques réformes réactionnaires qui vont tout bouleverser. La situation est certes consternante, mais ce
que le législateur a détruit, un autre législateur peut le reconstruire. » Pierre Joxe fait référence à son combat
actuel sur le dispositif de prévention et de protection de la jeunesse, aujourd’hui « totalement effondrée ».
« La folie n’est pas une infraction », poursuit avec force le magistrat Serge Portelli. Martelant : « La médecine
n’est pas là pour surveiller, elle est là pour soigner. »

Puis arrive le pédopsychiatre Pierre Delion, combatif mais inquiet. Comme un reflet du moment. Après une
standing ovation, il prend la parole : « Et je serais, moi, un barbare ? Et je ferais, moi, de la torture, interroge-t-il
de sa voix douce. Rendez-vous compte qu’aujourd’hui, on en arrive à recommander de mettre des casques sur
les enfants agités ! » Puis, avec son visage de vieux sage, il affirme : « Il faut nous mettre debout pour dire "cela
suffit". »

« Bulle ». Debout ? Loriane et Mathieu, deux jeunes psychiatres, le sont. Dès le début, ils ont été dans le
collectif des 39. Lui travaille à l’hôpital d’Etampes (Essonne). Loriane est pédopsychiatre dans un Centre médico-psychologique à Corbeil-Essonnes. « Si j’y crois ? Drôle de question, dit-elle. Je pense à ce que j’ai à faire,
j’essaye de maintenir à tout prix une éthique dans mon travail de psy. Et, pour moi, ne pas être seule est
essentiel. Même si on traverse une période difficile, on réfléchit et on essaye de mettre au point des pratiques
émancipatrices. » Dans un grand sourire, elle ajoute : « Non, je ne me sens pas moribonde. »

Mathieu, acquiesce : « J’en ai encore pour quarante ans à faire de la psychiatrie, et rien n’est foutu. Je reprends
le service de Michaël Guyader, un grand psychiatre qui s’est battu contre l’asile. Je n’ai pas connu ce combat-là,
et mon travail est différent : c’est aussi de rouvrir des lits, de faire des lieux d’hospitalisation accueillants. Dans
ce service, il y a une histoire. Et c’est possible de travailler, de créer des collectifs. » Puis d’affirmer : « Mais si on
reste dans notre bulle, on se fait dégommer. »

« La folie n’est pas une infraction » - Libération Page 1 sur 1

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