Accueil > Causeries de Canet > Textes utiles > Le McGuffin
Le McGuffin
mardi 13 février 2007, par
Le McGuffin
A. H. La fameuse clause secrète, c’était notre MacGuffin. Il faut que nous parlions du MacGuffin
F. T. Le MacGuffin, c’est le prétexte, c’est ça ?
A. H. C’est un biais, un truc, une combine, on appelle cela un « gimmick ».
Alors, voilà toute l’histoire du MacGuffin. Vous savez que Kipling écrivait fréquemment sur les Indes et les Britanniques qui luttaient contre les indigènes sur la frontière de l’Afghanistan Dans toutes les histoires d’espionnage écrites dans cette atmosphère, il s’agissait invariablement du vol des plans de la forteresse. Cela, c’était le MacGuffin. MacGuffin est donc le nom que l’on donne à ce genre d’action : voler.., les papiers, voler.., les documents, voler... un secret. Cela n’a pas d’importance en réalité et les logiciens ont tort de chercher la vérité dans le MacGuffin. Dans mon travail, j’ai toujours pensé que les « papiers », ou les « documents », ou les « secrets » de construction de la forteresse doivent être extrêmement importants pour les personnages du film mais sans aucune importance pour moi, le narrateur.
Maintenant, d’où vient le terme MacGuffin ? Cela évoque un nom écossais et l’on peut imaginer une conversation entre deux hommes dans un train. L’un dit à l’autre : « Qu’est ce que c’est que ce paquet que vous avez placé dans le filet ? » L’autre : « Ah ça C’est un MacGuffin. » Alors le premier : « Qu’est ce que c’est, un MacGuffin ? » L’autre : « Eh bien ! c’est un appareil pour attraper les lions dans les montagnes Adirondack. » Le premier : « Mais il n’y a pas de lions dans les Adirondack. » Alors l’autre conclut : « Dans ce cas, ce n’est pas un MacGuffin. » Cette anecdote vous montre le vide du MacGuffin... le néant du MacGuffin.
F. T. C’est drôle.,. très intéressant.
A. H. Un phénomène curieux se produit invariablement lorsque je travaille pour la première fois avec un scénariste, il a tendance à porter toute son attention au MacGuffin et je dois lui expliquer que cela n’a aucune importance. Prenons l’exemple des Trente Neuf Marches : que cherchent les espions ? L’homme à qui il manque un doigt ?... Et la femme au début, qu’est ce qu’elle cherche ?... S’est elle approchée à ce point du grand secret qu’il a fallu la poignarder dans le dos à l’intérieur de l’appartement de quelqu’un d’autre ?
Lorsque nous construisions le scénario des Trente Neuf Marches, nous nous sommes dit, complètement à tort, qu’il nous fallait un prétexte très grand parce qu’il s’agissait d’une histoire de vie et de mort. Lorsque Robert Donat arrive en Ecosse et parvient à la maison des espions, il a trouvé des informations additionnelles, peut être a t il suivi l’espion et, en suivant l’espion dans son travail, dans notre premier scénario, Donat arrivait en haut d’une montagne et il regardait en bas de l’autre côté. Il voyait alors des hangars souterrains pour avions, découpés dans la montagne. II s’agissait donc d’un grand secret d’aviation, de hangars secrets, à l’abri des bombardements, etc. A ce moment, notre idée était que le MacGuffin devait être grandiose, effectif autant que plastique. Mais nous commencions à examiner cette idée : qu’est-ce que ce serait, qu’est-ce qu’un espion ferait, après avoir vu ces hangars ? Est-ce qu’il enverrait un message à quelqu’un pour lui dire où ils étaient ? Et dans ce cas, que feraient les ennemis futurs du pays ?
Finalement nous abandonnions chacune de
ces idées au fur et à mesure au profit
de quelque chose de beaucoup plus
simple.
F. T. On pourrait dire que, non
seulement le MacGuffin n’a pas besoin d’être sérieux, mais encore qu’il
gagne à être dérisoire, comme la
petite chanson d’Une femme disparaît.
A. H. Certainement. Finalement le
MacGuffin des Trente-Neuf Marches
est une formule mathématique en
rapport avec la construction d’un
moteur d’avion, et cette formule
n’existait pas sur le papier puisque
les espions se servaient du cerveau
de Mister Memory pour véhiculer ce
secret et l’exporter à la faveur d’une
tournée de music-hall.
F. T. C’est qu’il doit y avoir une
espèce de loi dramatique quand le
personnage est réellement en danger ; en cours de route, la survie de
ce personnage principal devient tellement préoccupante que l’on oublie
complètement le MacGuffin. Mais il
doit y avoir tout de même un danger,
car, dans certains films, lorsqu’on
arrive à la scène d’explication, à la
fin, donc lorsqu’on dévoile le MacGuffin, les spectateurs ricanent, sifflent ou rouspètent. Mais je crois que
l’une de vos astuces est de révéler le
MacGuffin, non pas tout à la fin du
film, mais à la fin du deuxième tiers
ou du troisième quart, ce qui vous
permet d’éviter un final explicatif ?
A. H. C’est juste, en général, mais
la chose importante que j’ai apprise
au cours des années, c’est que le
MacGuffin n’est rien. J’en ai la conviction, mais je sais par expérience qu’il
est très difficile d’en persuader les
autres.
Mon meilleur MacGuffin et, par
meilleur, je veux dire le plus vide, le
plus inexistant, le plus dérisoire
est celui de North by Northwest.
C’est un film d’espionnage et la seule
question posée par le scénario est :
« Que cherchent ces espions ? » Or,
au cours de la scène sur le champ
d’aviation de Chicago, l’homme de l’Agence Centrale d’Intelligence
(C.I.A.) explique tout à Cary Grant,
qui lui demande en parlant du personnage de James Mason : « Qu’est-
ce qu’il fait ? ». L’autre répond : « Disons que c’est un type qui fait de
l’export-import. Mais qu’est-ce
qu’il vend ? Oh !... juste des secrets du gouvernement ! » Vous
voyez que, là, nous avions réduit le
MacGuffin à sa plus pure expression : rien.
F. T. Rien de concret, oui, et cela
prouve évidemment que vous êtes
très conscient de ce que vous faites
et que vous dominez parfaitement
votre travail. Ce genre de films,
construits sur le MacGuffin, fait dire à
certains critiques : Hitchcock n’a rien
à dire et, à ce moment-là, je crois
que la seule réponse serait : « Un
cinéaste n’a rien à dire, il a à
montrer ».
A. H. Exact.
(Hitchcock-Truffaut pp.111-113)