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Les « 3L » d’Angel

mardi 14 novembre 2006, par Michel Balat

Les « 3L » d’Angel Ou : L’accueil de la violence

René LAFFITTE
et le groupe V.P.I.

Il est plutôt petit pour ses onze ans. Mais il a la frimousse et la vitalité du gavroche gitan. C’est le frère d’Anita, l’aînée et de Tony, tous deux anciens élèves de la classe. Angel, le troisième, a une autre petite sœur de cinq ans, Jessica.
Son père, délinquant notoire, fait des séjours réguliers en prison, et tous les enfants ne portent pas son nom.
La mère, plus ou moins soumise et consentante, affirme être heureuse quand son mari n’est pas là :
-  Tony et Anita, eux, sont gentils. Mais Angel, il est mauvais C’est dedans, il est comme son père. C’est un voyou, il ira en prison comme lui !
Sa famille habitant dans le quartier, Angel a fréquenté l’école jusqu’à neuf ans. Mais il n’y est jamais resté plus de deux jours consécutifs : profitant de sa petite taille, il se glissait par n’importe quel trou du grillage, ou grimpait sur le toit du préfabriqué. Il se sauvait après la moindre remontrance ou bien simplement partait avec son cousin qu’il avait vu passer dans la rue.
À dix ans, Angel avait déjà commis de nombreux larcins, ou participé à des vols de voitures avec Nono, un autre gitan de son âge, encore plus paumé et dangereux que lui. Devant l’impossibilité de le fixer à l’école, le juge des enfants l’a placé dans un établissement spécialisé.
Peine perdue : Angel se sauve aussi facilement. On le voit alors, par intermittence, circuler dans le quartier sur des mobylettes sans mention d’origine.
En septembre on m’annonce que le juge des enfants a estimé qu’Angel, ayant fait des progrès, peut être à nouveau scolarisé dans une école primaire.
Quand il arrive chez nous...
Le petit fugueur sait peu de choses scolairement mais joue de la guitare et de la batterie. Dès le premier jour, il me demande ce qu’Anita et Tony savaient faire. Je lui signale qu’Anita savait travailler et que Tony était chef d’équipe.
-  J’aimerais rester toujours ici, c’est mieux qu’au centre, dit-il.
On va voir que ce ne sera pas si simple.
Sa capacité de travail est pratiquement nulle, mais il bouge, saute et parle fort. Il s’intéresse au Conseil, au « Quoi de neuf ? »... mais à sa façon : il commente crûment, parle sans demander la parole, ne supporte ni remarques ni frustrations qui le font hurler.
Il discute en gitan avec Marco des infractions qu’il a commises. Je mobilise mes connaissances de catalan et d’espagnol pour lui signifier que je comprends ce qu’il dit.
• 17 septembre :
Après quatre jours, j’ai noté : difficultés grandissantes. C’est un euphémisme ! Il ne peut effectuer aucun travail scolaire. Par contre, on ne risque pas de l’oublier : parfois il chante du flamenco et joue de la batterie sur sa table, parfois il s’affale, gémit et délire.
Il parle aussi, bien sûr :
-  Quand je serai grand je ferai bandit, comme mon père. J’irai coucher au château (en prison).
Les heurts avec les responsables ou le maître alternent avec les provocations. Seul travail possible et accepté : découper des feuilles de papier journal pour l’atelier limographe, et les ranger. Ce sera son métier.
Heureusement, il veut gagner des sous. Il tente donc de ranger les caractères d’imprimerie, mais renonce au bout de quelques instants, retourne à son découpage puis à son errance que j’endigue comme je peux. Mais les journées sont longues ! ...