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Lettre Ouverte au président de la Haute Autorité de Santé
par Moïse Assouline
vendredi 30 mars 2012, par
Lettre Ouverte au président de la Haute Autorité de Santé
« Une Recommandation utile aux parcours des autistes, sous réserve qu’on ne confonde
pas l’accompagnement des personnes avec des procédures »
par Moïse Assouline
Je vous remercie de demander leur avis aux membres du comité de lecture sur la rédaction
finale de la Recommandation de Bonnes Pratiques relative à l’autisme. J’approuve ce texte,
avec certaines réserves.
Voici le contexte de mes observations.
Je suis psychiatre, praticien à temps plein depuis 30 ans et j’ai accompagné, avec plusieurs
équipes pluri-disciplinaires, des centaines d’adolescents autistes et leurs familles, pour
beaucoup pendant plus de dix ans.
J’exerce au Centre Françoise Grémy, Paris, un complexe qui comporte : l’Hopital de
Jour Santos-Dumont pour vingt adolescents et jeunes adultes (le premier en France, ouvert en
1963) ; une équipe de liaison avec le département de génétique de Necker (deux cent
bénéficiaires depuis douze ans) ; une unité d’évaluation protocolisée (tests psychologiques et
bilans sensori-moteurs) diagnostique et fonctionnelle pour adultes (depuis 2005) ; une plateforme pour l’ insertion - relais à l’ âge adulte (depuis 1995) et une des trois UMI d’Ile de France, unités mobiles de semi-urgence créées en 2010, dédiées aux Situations Complexes en ATED (100 cas par an pour Paris et les Hauts de Seine).
Je coordonne le pôle autisme de l’association l’Elan retrouvé, qui élargit le plateau technique
recommandé. Il dispose en banlieue de 80 places d’ hospitalisation de jour pour enfants ou
adolescents (répartis dans trois unités) , la moitié étant scolarisée sur site ou en milieu ordinaire.
Il est associé à un réseau culturel d’associations créées par nos équipes : Fenêtre sur la Ville,
qui édite le journal "Le Papotin" ; la Compagnie de Théatre et Voix Turbulences - laquelle a créé
à son tour un nouveau complexe, médico-social (ESAT et SAS) pour adultes autistes et artistes
; et Zig Zag Color, qui fédère les ateliers d’art plastique de plusieurs centres. Ce pôle est lié à
des organismes d’animation pour les loisirs et les vacances (week end, été). Il dispose d’ateliers
et d’unités de formation qui accompagnent la sexualité des jeunes. Ajoutons que notre plateforme d’accès à une médecine exploratoire et aux soins somatiques, sans doute la plus
développée d’Ile de France depuis 10 ans, s’enrichit cette année d’une coopération avec le
Centre anti-douleur de l’Hôpital Trousseau.
Ce pôle constitue un réseau avec une douzaine d’ établissements médico-sociaux (IME, FAM
ou SESSAD) de Paris et Hauts de Seine.
Il a anticipé et, dans certains domaines, il va au delà des Recommandations qui sont
présentées. A noter que ce plateau technique n’a jamais bénéficié de crédits des plans autisme.
Il s’agit du choix éthique des gestionnaires (d’abord l’ Association Sesame Autisme, de 1963 à 2007, ensuite l’association l’Elan retrouvé), soutenu par l’ Etat, de consacrer des crédits de
pédo-psychiatrie à l’ accompagnement spécifique de l’autisme.
Cette organisation n’a pas manqué depuis 20 ans d’observer les changements survenus dans
l’environnement technique, administratif, associatif, familial, et politique du pays, et d’y
participer, ce qui se décline ainsi : Commission Gillibert en 1991 (première instance
gouvernementale sur l’autisme) ; Groupe de travail de la DGAS en 1994 (un des groupes qui a
préparé la Circulaire Veil de 1995) ; celui de l’ ARHIF sur les Hôpitaux de Jour (1997-1998)
; celui de la CRAMIF sur l’ articulation du sanitaire et du médico-social (1999 - 2002) ; le groupe
expert pour l’élaboration du SROS 3 (le Schéma d’Organisation Sanitaire, chapitre
« préconisations pour l’autisme », 2004 - 2005) ; celui de l’étude épidémiologique de Cohorte des personnes ATED en Ile de France entre 2001 et 2007 (je suis corédacteur du rapport terminal,
partie qualitative). Je participe depuis leur création aux instances suivantes : le CTRA d’Ile de
France (depuis 1996), le Conseil d’administration (PEPA) du CRAIF (Centre de Ressources
Autisme) et son conseil scientifique (depuis 2000) et au Comité ministériel CPRA ou
« Comité National Autisme » (depuis 2007).
Ayant été nommé dans cette instance "in tuitu personae", c’est à titre personnel que je m’
exprime ici.
Un grand progrès : le sujet autiste passe avant l’entente entre les institutions.
La RECOMMANDATION est une avancée réelle. Bien qu’incomplète (et en partie fausse)
cette synthèse sur le parcours longitudinal souhaité sera un document de référence pour
soutenir le parcours singulier de chaque personne en tant qu’un droit.
C’est un point d’appui nouveau pour s’opposer aux errances (retards dans les diagnostics,
retard pour débuter les prises en charge, évictions institutionnelles pour cause d’âge,
accompagnements partiels et amputés d’éléments clefs du plateau technique utile, etc.). Après
d’autres textes récents, imparfaits mais nécessaires (les Recommandations de Pratiques
Professionnelles pour le diagnostic de 2005, et l’établissement du "socle de connaissances"), la
RECOMMANDATION marque une nouvelle étape dans la réhabilitation du sujet autiste dans la
société.
En effet, la Circulaire interministérielle de 1995 (la "Circulaire Veil"), qui a établi l’autisme comme
priorité de santé publique et ouvert une période historique bénéfique, avait été suivie de "plans
autisme" tous les deux ans assortis de financements. Mais elle avait échoué dans son objectif
de créer en cinq ans des réseaux gradués et coordonnés articulant les soutiens soignants,
médico-sociaux (financiers et institutionnels) et scolaires, dans tout le pays. A partir de 2000, la
création de Centres de Ressource Autisme région par région a relancé ce mouvement. Mais la
coordination reste entravée par le poids des cultures de services, les cloisonnements de
compétence professionnelle et des rivalités de bureaux (des administrations et des ministères).
Même si la Loi de 2005 oblige maintenant de manière heureuse l’Education Nationale à
accueillir les handicapés, il y a toujours besoin d’une coordination fluide pour que cette
révolution dans la vie sociale des autistes ne s’enlise pas.
Or, la RECOMMANDATION opère un renversement. L’accord entre institutions perd de sa
suprématie, laquelle est transférée au bénéfice du sujet. Ce qui va structurer les discussions
entre services ne sera plus la recherche d’une entente préalable d’institutions (dans ce cas, les
freins restent majeurs) mais le droit de la personne autiste à un parcours coordonné. Ce droit va
obliger les services à répartir leurs prestations pour harmoniser le plateau technique utile.
Autrement dit, la complémentarité des services ne sera plus octroyée à la personne sous la
condition (aléatoire) que les prestataires s’entendent, elle devient une contrainte et un principe
organisateur pour chacun des services (médicaux, psychiatriques, médico-sociaux, scolaires,
sociaux, etc.). C’est le point fort de la RECOMMANDATION et la raison de mon approbation.
Pour un droit au retour après l’exclusion d’une institution.
Ma première réserve est que la RECOMMANDATION n’anticipe pas un des risques connus
dans le parcours social et/ou institutionnel. Il faut pour les personnes autistes exclues en période
de crise de leur institution ou de leur école "un droit au retour", dans l’après crise, une fois
l’apaisement obtenu.
La RECOMMANDATION mentionne de porter attention aux "comportements-problèmes". Tels
que décrits, il s’agit des troubles du comportement que toute équipe spécialisée formée en
autisme est en mesure d’apaiser in situ, sans aide extérieure et sans le recours à l’exclusion.
Mais la RECOMMANDATION ne mentionne pas le statut de "Situations Complexes en Autisme
et TED" qui se situent un cran au-dessus. Elles dépassent momentanément les capacités des
centres spécialisés en autisme, même les plus prestigieux, et elles génèrent l’éviction des
enfants et de leur famille de tout parcours coordonné. Ces situations sont variées. Par exemple :
une comorbidité avec des troubles somatiques instables (diabète, épilepsie résistante au
traitement, séropositivité, …) ; ou avec des troubles psychiatriques sévères (syndromes
persécutifs, troubles bipolaires,...) ; conduites auto-offensives (jusqu’ à mille coups par jour,...) ;
dangerosité pour autrui (risque de mort d’un membre de la fratrie...) ; syndromes d’Asperger
isolés au domicile, suicidaires ou agressifs ; marasmes psycho-sociaux, etc. Après 15 ans de
recherche-action, l’Etat a créé des dispositifs dédiés, pluri-disciplinaires, aux ressources
humaines adaptées (celui d’Ile de France notamment). Que la personne dispose d’un "droit au
retour" serait l’aboutissement naturel de leur action réparatrice, qui s’appuie sur un
investissement considérable. (A noter qu’il s’agit de moyens issus de la psychiatrie, non des
crédits pour l’autisme, ce dont il faut encore remercier l’Etat, la Santé, et l’ARS d’Ile de France).
Concernant ces exclusions, les rapports d’ activité de nos équipes mobiles peuvent en fournir
les statistiques récentes. Sont concernés tous les types de centres, hôpitaux de Jour, IME,
SESSAD, école ou collèges, centres comportementalistes (TEACCH ou ABA), quels que soit l’
âges des personnes (enfants, adolescents, adultes). Contrairement à ce qui est suggéré dans la
RECOMMANDATION, le comportementalisme rencontre les mêmes difficultés que les autres
approches. Un IME expérimental ABA a pu appeler les pompiers pour exclure vers son domicile
un enfant de huit ans. Réquistionné, il a demandé l’aide de la pédopsychiatrie pour pouvoir le
réintegrer. (Sans « droit au retour », l’enfant est rayé des effectifs et oublié). Et il y a des adultes
entre 20 et 30 ans qui, bien que n’ayant connu que des prises en charge comportementales
depuis l’enfance, sont exclus définitivement de leur propre centre.
La RECOMMANDATION n’a pas mentionné les Situations Complexes car elle ne les a sans
doute pas discriminé du groupe des "comportements - problèmes" (qu’elle évoque à plusieurs
reprises).
Mais pour les deux cas, j’émets la plus extrême réserve sur la mention, dans l’argumentaire
scientifique, qui a valeur de recommandation explicite, de punitions comme méthodes
comportementales dont la validité serait "solide" et "robuste" (malgré le nombre infimes de cas
étudiés, l’absence de groupes témoins et d’observation de longue durée cf. pages 220 à 230).
Cette omission de la RECOMMANDATION quant aux Situations Complexes n’est pas anodine
et les services de l’Etat (comme l’ HAS) et les associations gestionnaires seraient avisés de
joindre les deux bouts d’un raisonnement. D’un côté l’Etat donne un statut à ces sujets après
qu’ils furent abandonnés pendant des décennies dans le no man’s land de mouroirs lents
(psychiatriques ou médico-sociaux) ou de faits divers familiaux anonymes et tragiques. Mais de
l’autre, avec ce statut, il leur donne, ainsi qu’à leur familles, la possibilité nouvelle d’être à son
tour, ainsi que les institutions, assignés devant les tribunaux quand les carences des services
contribuent à leur malheur. Nos Unités Mobiles peuvent calmer ces familles quand des
alternatives réussies sont mises en oeuvre et ainsi retarder (mais non éliminer) le risque du
retour de la litanie entendue pour le sang contaminé et la canicule : "nous sommes
responsables mais pas coupables", "nous ne savions pas", "les études scientifiques nous
avaient donné des assurances", etc.
Le soutien à la scolarité est fait par des services pluridisciplinaires
Une réserve concerne la seule mention des SESSAD comme soutien à la scolarisation des
jeunes autistes. Les SESSAD sont des nouveaux dispositifs (400 places environ dans le dernier
plan). Mais depuis toujours, une proportion importante des Hopitaux de Jour et des IME font cet
accompagnement en classe ordinaire pour de bien plus nombreux enfants (et bien avant la Loi
de 2005). En Ile de France, l’enquête épidémiologique "SUIVI D’UNE COHORTE D’ENFANTS
PORTEURS DE TROUBLES AUTISTIQUES ET APPARENTÉS EN ILE DE FRANCE DE 2002
A 2007" le fait ressortir nettement, surtout pour les Hôpitaux de Jour (ce qui était inattendu
compte tenu de ce qu’en disaient déjà à l’époque certaines associations). La
RECOMMANDATION cite des enquêtes disponibles, déplore leur faible nombre, mais elle a
éliminé cette enquête de la liste (alors qu’elle est citée dans l’Argumentaire scientifique de l’
HAS...). Ces éléments sur les parcours devraient être rétablis.
L’autisme devrait-il être est-il exclu de la sexualité ou seulement de la psychanalyse ?
Une réserve concerne la pauvreté de la Recommandation relative à la prise en compte de la
sexualité des adolescents et des personnes autistes en général. La timidité de la
RECOMMANDATION est stupéfiante car les rédacteurs ne peuvent ignorer que l’aggravation de
certains troubles du comportement a un rapport avec la sexualité émergente de ces personnes
vulnérables, et que toutes les équipes et les familles sont en demande d’aide, de formation et
d’innovations.
Notre plate-forme d’ateliers sur la sexualité a débuté il y a longtemps par la mise en place de
l’éducation sexuelle standardisée des écoles (celle qui est souhaitée par la
RECOMMANDATION) puis elle s’est étoffée à mesure, créant de nouvelles médiations, en
réseau avec des associations partenaires (de prévention des abus sexuels, d’artistes, etc.).
Nous avons bénéficié de l’aide de psychanalystes pour conduire ce travail (soutenu par la
Fondation de France). Nous avons organisé en 2011 des formations pour tout notre réseau,
réunissant des psychanalystes (Julia Kristeva, Sylvie Lapuyade, Michèle Rouyer), des
psychologues (Isabelle Hénault du Québec, Anne Ricotta de Belgique), pédagogues (Aghte
Diserens de Suisse) plutôt comportementalistes, et des parents, tous réunis par une attention
humaniste à la composante ordinaire de la sexualité chez les personnes autistes
Cette indigence de la RECOMMANDATION n’est sans doute pas sans rapport avec la
disqualification que l’HAS a voulu exprimer pour la psychanalyse "comme prise en charge de
l’autisme". Si la sexualité des personnes est entravée et compliquée par les conduites et les
représentations autistiques, et de ce fait génératrice de troubles sévères du comportement, sa
composante "ordinaire" doit être soutenue. Or la psychanalyse fournit de manière commune et
consensuelle sous toutes les latitudes les outils conceptuels pour aider toute personne et toutes
équipes à aborder ces questions. Elle est bien utile à une meilleure intégration sociale des
personnes autistes sur ce plan, sous réserve qu’ils le souhaitent s’ils ne sont pas sous tutelle,
ou, dans ce dernier cas, que leurs parents en soient d’ accord. A vrai dire, nos formulaires de
consentement pour nos ateliers ont toujours été remplis et signés par toutes les familles.
Ma réserve porte donc sur la nécessité de compléter cette Recommandation, et pour ce faire,
que l’ HAS surmonte dans son comité de rédaction une alliance dogmatique et arriérée entre
quelques parents intraitables et des scientifiques qui semblent avoir peur du sexe.
Les abus psychodynamiques et et les abus comportementalistes
A ce point, j’émets une réserve sur la tonalité générale donnée par la RECOMMANDATION
quant à la présentation des courants comportementalistes versus les courants
psychodynamiques.
La RECOMMANDATION distribue aux approches comportementalistes sans discrimination ni
prudence des "grades B", présentés comme critères de validité, comme si cela avait une grande
valeur scientifique ou clinique, abusant de l’ignorance du public. Elle fait une impasse historique
sur le risque de dérives maltraitantes connues en France et dénoncées en leur temps (dès les
années 90), y compris par les courants comportementalistes "doux" (comme le TEACCH de
Schopler). Pour créditer encore cette emphase, la RECOMMANDATION a voulu diminuer la
psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle. C’est cette tonalité qui a excité la presse et
exalté les dogmatismes, ce qui est peu digne de ce que nous attendions de la Haute Autorité de
Santé.
Que la psychanalyse ne soit pas consensuelle n’est pas nouveau et c’est son honneur. Dans les
années 60, ce sont ses idéaux qui ont amorcé la réhabilitation du sujet autiste dans sa famille et
dans la société, qui les ont extrait de la défectologie psychiatrique et asilaire, contre l’avis des
autres courants dominants de l’ époque, qui en faisaient de "pauvres choses à réparer et à
supporter". Plus tard, certains courants de psychanalyse vulgarisée ont imposé une fausse
hiérarchie de savoir et de pouvoir sur des autistes et leurs familles. Il nous a fallu dans les
années 80 et 90 assumer le droit du travail et limoger des salariés représentant ces courants.
Même si cela fut violent, pour eux de le subir (et pour nous de le faire) la démocratie nous a
suffit pour soutenir l’exercice légitime de l’accompagnement contre des pratiques inacceptables
et nous n’avions guère besoin de chasser le diable comme des moinillons brandissant un
crucifix.
La « psychothérapie institutionnelle » n’est pas consensuelle, c’est vrai aussi. C’est sans doute
la raison pour laquelle il revient à nos équipes de pédopsychiatrie (inspirées en partie par ce
courant) alliées à des artistes de réussir des productions culturelles parmi les plus belles et les
plus durables de ces dernières décennies avec et pour des personnes autistes (elles sont citées
plus haut, et elles s’ exposent tous les deux ans depuis 2000 au festival du Futur Composé du
Dr Gilles Roland-Manuel, dans les salles de Paris fréquentées par le public ordinaire, avec
d’autres productions issues du médico-social). Ce courant oeuvre pour compenser les risques
iatrogènes et les effets secondaires de l’accompagnement spécialisé. C’est un paradoxe bien
connu que toute assistance comporte une part de « puérilisation » du sujet aidé, Ma réserve est
donc ici que, même si la RECOMMANDATION capitule devant l’aversion au mot même de
"psychothérapie" de certains lobbyings, elle devrait recommander (sous un autre nom pourquoi
pas), l’attention institutionnelle à réparer les effets secondaires de l’assistance aux personnes,
tout ce qui accroit leur invalidité au lieu de leur autonomie, une condition essentielle de
l’exercice soignant et éducatif.
L’HAS devrait aussi rééquilibrer sa valorisation sans mesure de l’ABA. Elle doit préciser quelle
est la frontière entre les stimulations "de type ABA" acceptables pour des enfants petits et
celles qui sont maltraitantes. Peut-elle ignorer que l’imprécision sur ce plan amènera des
bénévoles et des parents à faire de la surstimulation sensorielle comme dans la « Méthode
Doman - Delacato" ? La RECOMMANDATION a signalé celle-ci parmi les méthodes non
recommandées : merci au regretté S. Tomkiewicz et à D. Annequin, du centre anti-douleur de
Trousseau, qui l’ont évalué en 1987 dans un "rapport du Ministère des affaires sociales et de
l’emploi" ! (Sans cela, aurait-elle obtenu aujourd’hui "un grade B" ?).
De même, pour les adultes, nous observons que des abus comportementalistes génèrent de
plus en plus de soi-disants TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs) qui sont générateurs
d’exclusion institutionnelles et de renvoi au domicile ou en Hôpital Psychiatrique. Or, ce ne sont
que d’anciennes stéréotypies autistiques qui deviennent envahissantes car elles sont activées
par des formes de conditionnement inadaptées ou par la dépression. On trouve ici une
justification comportementaliste pour l’éviction d’autistes, une variante (tout aussi laide) de cet
argument avancé par des pseudo-psychanalystes : "la structure" psychique de l’autiste le
pousserait à réclamer sa propre exclusion.
Le packing de Pierre Delion
Ma dernière réserve porte sur la méthodologie de la RECOMMANDATION qui empêche de
manière dissimulée le Pr Pierre Delion de poursuivre sa recherche sur le packing avec
suffisamment de cas. Je ne suis pas psychanalyste et, dans le plateau technique de notre
réseau, il n’y a jamais eu de packing, faute de ressources spécialisées. En effet, le "packing" a
de multiples visages, comme l’ABA, le TEACCH ou la psychanalyse se pratiquent de manière
variée selon les hommes, femmes et services qui s’en réclament. Praticien de terrain, je ne suis
ni chercheur ni académique. Mais la soumission de l’HAS à la cabale publique contre Pierre
Delion, pionnier de la pédopsychiatrie intégrative, est pour moi une tache pour tout le corps
médical.
La pratique du packing du Pr Delion, dont l’humanisme est une référence éthique pour les
professionnels de ce champ, est un aspect de l’attention qu’il porte au développement sensorimoteur
de l’ enfant, appliqué au domaine des auto-mutilations graves, dont sans doute les
auteurs du lobbying n’ont pas la représentation. La créativité scientifique, humaine et préventive
de l’approche sensori-motrice, qu’il partage avec le neuro-pédiatre Roger Vasseur et le
psychologue suisse André Bullinger (qui en est le concepteur unanimement apprécié dans la
communauté scientifique) révolutionne l’approche clinique de l’autisme. Or l’expérience du Pr
Delion avec le packing a été présenté comme la peste au moyen âge, un bestiaire où la
psychanalyse serait accouplée à la torture physique. Dans les années 1980, le Pr Serge
Lebovici fut traité de nazi par un groupe de parents extrémistes. Françoise Grémy, cofondatrice
de Sesame Autisme et de plusieurs centres pour adolescents, mère d’un enfant autiste, dont
notre centre porte le nom, s’interposa pour limiter ces dérives et l’HAS se serait honorée en en
faisant autant aujourd’hui.
L’approche sensori-motrice préconise des rééducations intensives coordonnées avec les
parents pendant les périodes sensibles du développement, notamment la première année, pour
les enfants autistes ou à risque autistique. Sans contrôle et hors ces périodes sensibles, cette
stimulation est délétère. Le packing concerne des troubles rares et exceptionnellement graves,
et il exige une méthodologie rigoureuse et des moyens adaptés. Sans ces conditions, il est
délétère, nous enseigne Pierre Delion. Il serait honnête que l’HAS combine une réserve
générale sur le packing avec la possibilité qu’il poursuive sa recherche avec les parents
désespérés qui le soutiennent.
Autrement dit : que l’HAS retire son opposition formelle au packing en indiquant seulement les
conditions drastiques qui encadrent son exercice et qu’elle attende les résultats de son
évaluation pour savoir s’il peut être recommandé et dans quelles indications. En procédant
ainsi, il y a bien moins de risque physique pour les enfants que dans la surstimulation ABA des
bébés quand elle est pratiquée par des personnes ni formées ni encadrées. Là encore, les
"deux poids et deux mesures" sont inquiétants car nous attendons de l’HAS qu’elle ne soit pas
au service de lobbyings sectaires mais à celui de la science (et de la conscience).
En résumé : une approbation assortie de six réserves
En résumé : de ma modeste place, j’approuve la RECOMMANDATION car elle donne la
suprématie au soutien du sujet dans son parcours de soins, d’éducation et d’insertion au
détriment des particularismes des institutions. Mes réserves portent sur les points suivants.
Intégrer la notion de "Situations Complexes en ATED" et ajouter un "droit au retour’ en cas
d’exclusion. Enlever toute équivoque sur le bien fondé des punitions. Mentionner l’étude
épidémiologique de ’"Cohorte en Ile de France de 2002 à 2007" et l’aide historique et actuelle
des Hôpitaux de jour à la scolarisation des autistes. Mentionner l’utilité de toutes ressources
usitée par le monde ordinaire (ce qui inclut la psychanalyse) pour comprendre et aménager la
sexualité des personnes handicapées. Rééquilibrer l’excessive valorisation des pratiques
comportementalistes (la mise en avant de procédures considérées comme "scientifiques" et le
lobbying ont pris le pas sur les considérations cliniques et éthiques). Mentionner l’importance
majeure pour les soignants et les éducateurs de corriger les effets secondaires de leur propre
assistance (ce qui n’ est pas l’apanage de la psychothérapie institutionnelle mais doit être
conservé comme principe d ’accompagnement quel que soit le nom qu’on lui donne). Permettre
au Pr Pierre Delion de mener sa recherche sur le "packing" jusqu’au bout.
Conclusion : pour de prochaines Recommandations qui évalueraient la clinique de
l’autisme
Pour l’autisme, la plus grande fermeté est nécessaire contre l’exclusion. C’est cela qui contraint
les équipes et les administrations à affronter des pathologies et des handicaps complexes et à
inventer des solutions cliniques et institutionnelles. La modestie des praticiens de proximité
(cliniciens, pédagogues, éducateurs) en est une conséquence, en opposition à l’arrogance de
professionnels qui supervisent de loin, quelle que soit leur approche.
La RECOMMANDATION devait évaluer les parcours et contribuer au redressement des retards
et des ruptures dans le soin, l’éducation et d’insertion sociale. Elle aura cette utilité et elle va
faciliter les prises en charges en réseau, nous lui en sommes gré.
Mais elle a opéré un glissement sous la pression de lobbyings pour vali
der ou invalider des
approches dont elle a confondu le rapport aux protocoles (l’intention de mesurer, la description
des procédures et la mise en oeuvre des observations) avec les résultats cliniques, souvent
indigents.
C’est une erreur méthodologique sérieuse que de prochains travaux devront rectifier sinon, dès
les prochains mois, des accompagnements aberrants s’imagineront avoir été cautionnés à
l’avance par la RECOMMANDATION.
En 2005, l’ HAS a donné cinq point d ’excellence à notre Centre après quatre jours de visites
d’experts pour son accréditation. Je vous remets sans hésiter ces points, Mr le Président, si
cette appréciation n’a pas porté sur le contenu de notre travail mais sur ses seules procédures,
car ce pourrait bien être un leurre dangereux pour nos patients et leurs familles.
M.A.
Messages
1. Lettre Ouverte au président de la Haute Autorité de Santé, 30 mars 2012, 17:34, par Ghislaine Meillier
Monsieur Assouline,
Pour avoir connu avec mon fils de 45 ans, et pour connaître toujours, ce que vous nommez justement des « situations complexes », et les exclusions qui s’ensuivent, pour lui et sa famille, pour avoir expérimenté les tâtonnements hasardeux dans les solutions cherchées, je souscris aux réserves que vous énoncez à l’égard des recommandations, dont par ailleurs j’approuve comme vous le côté positif.
Le manichéisme n’apporte rien, il n’y a de progression que dialectique.
Aucun individu n’est un électron libre, toute personne avec autisme est insérée dans des dispositifs qui doivent eux-mêmes être objets de réflexion. Au vu de mon expérience associative, j’insiste sur la nécessité de maintenir des institutions et même si l’appellation « psychothérapie institutionnelle » est désormais inadéquate et peut prêter à confusion, il est nécessaire que ces institutions travaillent aussi à la réflexion sur leur fonctionnement et que les professionnels travaillent sur leur pratique.
Enfin on ne peut pas se passer de la recherche du sens dans la problématique de l’autisme, et la psychanalyse peut nous donner des outils de réflexion.
En souvenir de Françoise Grémy, Ghislaine Meillier .