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Roger Misès s’insurge contre la HAS
PAR GUY BAILLON, publié par mediapart.fr in "Contes de la folie ordinaires"
dimanche 18 mars 2012, par
Roger Misès s’insurge contre la HAS
PAR GUY BAILLON
ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 18 MARS 2012
Guy Baillon psychiatre des hôpitaux, Yves Gigou
cadre-infirmier psychiatrique : interview de Roger
Misès.
Roger Misès s’insurge contre la HAS
Roger Misès professeur émérite de psychiatrie
infanto-juvénile a accepté qu’Yves Gigou pour le
collectif des 39, fasse une vidéo (réalisée par Olivia
Gilli du collectif des 39) autour de son avis sur la
Haute Autorité de la Santé. Yves m’a demandé de
l’accompagner. Je l’ai suivi avec d’autant plus de
plaisir que je sais que Roger Misès est un homme
auquel la France doit beaucoup.
Roger Misès a accepté malgré une grande fatigue qu’il
sait cacher (si nous l’interrogeons sur elle, il réagit
en disant que participer à ces mobilisations contre
l’obscurantisme le soutient avec force !).
Nous le savions très vigilant devant les attaques
actuelles menées contre la psychiatrie et très précis
dans sa volonté de la soutenir. Il nous le montre ce
jour dans son propos.
(Une petite excuse pour le lecteur, ayant réalisé cette
vidéo trop tard, le 12 mars, pour être vue le 17, nous
n’avons pris de la bande son de 30’ que les 5’ de
ce texte lu au colloque des 39, avec les risques de
déformation dont nous sommes seuls responsables.)
Pour ceux qui ne connaissent pas Roger Misès,
rappelons qu’il a commencé à construire la psychiatrie
infanto-juvénile dès 1950 en prenant la direction de
la Fondation Vallée, près de Bicêtre et de Paris, où
étaient ‘abandonnés’ dans des conditions inhumaines
tous les enfants les plus gravement touchés de la
région, autistes entre autres, tous étiquetés grands
arriérés. Il s’en est occupé toute sa carrière, et a
commencé immédiatement à bâtir une « nouvelle
clinique psychiatrique » basée sur le travail d’équipe
pluridisciplinaire avec éducateurs, pédagogues, aux
côtés de psychiatres et d’infirmiers psychiatriques en
s’appuyant sur toutes les apports théoriques actuels,
en particulier la psychanalyse, tout en devenant luimême
psychanalyste. C’est dire s’il était le mieux
placé pour élaborer la circulaire du 14 mars 1972 qui
créait la psychiatrie de secteur infanto-juvénile, en
effet le ministère lui a demandé de l’écrire comme
celle de 1992. Déjà nous voyons que ce n’était pas du
discours, c’était de la pratique décrite et proposée. Ces
circulaires ont créé un tissu de 321 équipes couvrant
la totalité du territoire. Misès sera aussi l’auteur et
le meneur de jeu de l’élaboration d’une classification
française des maladies mentales de l’enfant et de
l’adolescent qui se révèlera comme l’une des armes
les plus coriaces contre l’envahissement par le DSM
et son idéologie nord américaine.
Son propos, ce 12 mars 2012, à deux jours près date
anniversaire des circulaires de 1960, 72, 92 créant la
politique de secteur, est fait de mots simples :
Nous lui demandons de préciser au Collectif des 39
ce qu’il pense de la HAS après son rapport et ses
déclarations :
Roger Misès commence par dire que la nouvelle loi
sur le handicap (dont le handicap psychique), méritait,
à sa parution, en 2005, d’être soutenue, parce qu’elle
permettait de compenser le handicap (donnée évolutive
et non fixée, car ce terme définit les conséquences
sociales des troubles psychiques graves), tout en
s’inscrivant dans les projets qui soutiennent la réponse
en termes de soins pour ces troubles psychiques
graves ; ainsi était mis à disposition des familles
l’ensemble des moyens du sanitaire et du médicosocial.
Dans toute sa pratique, comme dans tous ses
propos théoriques, ce lien du soin avec le social a
toujours été présent (en ce sens on peut constater
que la psychiatrie infanto-juvénile a été constamment
en avance sur la grande partie de la psychiatrie
générale).
Il était fondamental, précise-t-il, de maintenir en
France simultanément l’aide au handicap et l’éclairage
psychopathlogique, avec d’une part le soin à visée
mutative (c’est-à-dire entrainant un changement
psychique), et d’autre part l’appui social. Ceci dans
une perspective multidimensionnelle ; il est en effet,
dit-il, nécessaire de prendre en compte en même temps
les trois grandes dimensions de l’être humain, ses
composantes physiques, psychiques et relationnelles
ou sociales, mettant ainsi en évidence la singularité de
chaque enfant, la complexité de ses problèmes, ainsi
que les potentialités de chaque sujet.
Misès a précisé que son expérience de 40 ans lui avait
permis de suivre des enfants très atteints, dont des
autistes, ‘sur le long cours’ (nous savons tous que ce
‘long cours’ est le critère non contestable de toute
évaluation) et de témoigner qu’ils ont profondément
évolué grâce à ce travail d’équipe associant
pédagogues, éducateurs et soignants psychiatriques,
ensemble et chacun dans leur rôle.
Mais quelques années après 2005 il a constaté que
cette loi, au lieu de jouer son rôle d’union entre le
soin et la compensation a de plus en plus évité le soin
(sous l’influence de certaines familles et de certaines
MDPH). Misès a senti cette dérive et a commencé
à la dévoiler, d’autant qu’il l’avait anticipée dans le
combat qu’il a mené longtemps avant.
Aujourd’hui la HAS confirme cette dérive.
Misès constate que la HAS remplit là une fonction peu
glorieuse !
Roger Misès rappelle en effet qu’il a accompagné
la révolution de la psychiatrie qui au lendemain
de la guerre a permis de construire une nouvelle
cliniquepsychiatrique grâce à la reconnaissance et
l’implication du rôle fondateur du contexte du secteur
intégrant les différents acteurs du soin et de l’Action
sociale, au delà des murs des institutions, dans la Cité
(l’école, la pédiatrie, la PMI, la justice, le social), et
d’abord avec la famille.
Mais il insiste pour préciser que le mouvement
de régression actuel a commencé dès 1980 quand
les pouvoirs publics ont voulu appliquer en France
la classification nord-américaine du DSM et les
concepts qui l’accompagnaient (son idéologie), la
prééminence du modèle bio-médical niant toute
dimension psychopathologique : seuls comptaient les
facteurs organiques, les autres étaient évacués. Donc
cette théorie installait l’irréversibilité des troubles
comme ‘credo’ et retirait du soin sa dimension
mutative de changement psychique ! Ainsi, souligne
Misès, le DSM a été imposé par les pouvoirs publics
aux équipes dans le seul but de réduire les dépenses
de santé, d’installer un contrôle gestionnaire et de
renforcer le seul personnel administratif !
Pour cette raison très vite Roger Misès s’est acharné
avec ses collègues à construire une classification
française des troubles de l’enfant et l’adolescent,
intégrant l’éclairage multi-dimensionnel tout en
évitant de se laisser enfermer dans une simple
opposition passive, parce que cette classification était
accompagnée d’une échelle d’équivalence avec le
DSM. Cela a permis à la France jusqu’à aujourd’hui de
résister à la domination bio-médicale et gestionnaire
en soutenant l’importance des techniques humaines
relationnelles.
Roger Misès ne comprend pas, n’accepte pas, que la
HAS n’ait pas tenu compte de tout cet acquis, qu’elle
ait écarté les avis des professionnels de la psychiatrie
de l’enfant et de l’adolescent de la France entière !
Misès n’accepte pas que la HAS puisse obliger la
psychiatrie française à se soumettre à un modèle
extérieur à l’expérience française, celui des USA, qui
évacue le soin dans sa visée curative, ciblant la réponse
sur la seule éducation, le seul comportementalisme,
préférant à une psychiatrie ouverte, une psychiatrie
fermée.
Roger Misès s’insurge en soulignant que la HAS a
formulé un diktat, et qu’en même temps elle n’a rien
réglé.
A Yves Gigou, lui demandant ce qu’il pensait de
l’influence des familles dans cet avis, Misès répond
que toute sa carrière il a travaillé avec les familles avec
beaucoup d’attention, qu’il a même organisé plusieurs
colloques avec elles en 1994 à Grenoble, en 1996 à
Nancy, en 1997 sur l’autisme, montrant à chaque fois
que la coopération avec elles était possible et féconde.
la famille est une alliée. La souffrance des familles
ensuite a été instrumentalisée par certains contre cette
collaboration.
Misès s’est acharné en plus à former de nombreux
psychiatres et à transmettre cette expérience aux
soignants.
Je peux en témoigner, tout jeune Psychiatre des
Hôpitaux en 1969, je me suis inscrit aussitôt à la
formation des psychiatres que Misès avait obtenu
de créer au Ministère (toute une semaine nous
avions cours et stages sur la psychiatrie infantojuvénile
naissante). Bien que psychiatre d’équipe
généraliste, j’ai tout fait chaque année pendant 10
ans pour y participer, tellement j’avais compris que
la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent était la
meilleure clé pour la carrière de psychiatre. A la
même époque, je ne le connaissais pas, Yves Gigou
était infirmier chez Misès, avant de devenir cadre
dans notre équipe généraliste de Bondy, 20 après,
partageant ces découvertes.
A la fin de notre entretien, Roger Misès, ne peut
s’empêcher d’exprimer son émotion avec un terme
fort :‘’ J’ai peur ‘’, nous dit-il, ’’J’ai peur de ce qu’il
va advenir des générations de psychiatres avec ce
diktat ; ceux qui ont été formés vont être écartés, que
vont-ils devenir ? Les autres sans formation autre
que biologique et comportementale, comment vont-ils
faire ?’’
Sa conclusion est sobre, solennelle.
(Roger Misès ne dira pas un mot de plus) :
’’La Haute Autorité de la Santé n’est pas digne’’.