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Samedi 18 : La honte (essai).
samedi 11 juin 2005, par
La honte.
Depuis cette nuit, j’ai froid aux pieds. La faute à notre nouveau voisin, un ancien taulard revenu de ses crimes. Il était là, preuve de sa nouvelle vie. Son installation a été mal accueillie dans la copropriété. Nous, locataires, on s’en fichait. Mais il y a un moment où il faut choisir son camp. Alors pour ne pas être mal vus, on s’est montré indisposés nous aussi. Et nous avons signé ce genre d’appel au départ rédigé par le président de la copro.
J’ai croisé une fois notre fugitif malgré lui. C’était au premier abord un bon gars, aux manières cordiales, bien fichu. Il s’habillait sobrement, le visage clair, des lunettes droites soulignant une coiffure nette. Je me sens un peu coupable de n’avoir rien fait ; des appartements pour nous c’était pas ça qui manquait. Pour lui, ça se comptait sur les doigts de la main. Dans tous les cas, il aurait rencontré les mêmes problèmes. Ce qui faisait la différence, ce sont les gens prêts à le défendre. Moi qui me dit de gauche et ouvert à tout, me voilà hurlant avec les loups. Je ne devrais pas me le pardonner. Je crois que lui m’a pardonné, me pardonnait même le jour où nous nous sommes croisés. Il m’avait parlé de façon très chaleureuse, chose inhabituelle dans les parages, il donnait le meilleur de lui me semble-t-il à présent. Il ne me racontait pas le pourquoi du comment mais les vieilles habitudes des voisinages, je suis moi tu es toi, je suis ici et toi ? Je peux t’aider pour... Et le temps, la santé (si j’ose).
Les locales ont évoqué cette arrivée après une semaine. Pourtant c’est une chose commune que le replacement des anciens prisonniers en fin de contrat avec la justice. Ils ont payé leur dette, maintenant ils doivent payer leurs impôts. Fonder une famille nécessite une bonne dose de courage après un enfermement aussi long. Il faut se remettre à parler normalement avec des gens normaux, marcher normalement dans des rues normales, agir normalement sous des regards inquiets. La vie continue et peu s’en soucient.
Après qu’il s’est bien installé qu’il a pris ses marques, un journal du coin a publié une partie du casier du bonhomme. Peut-être avez-vous entendu parler de cette affaire ? Le directeur de cette feuille de choux a expliqué qu’il était citoyen d’informer les électeurs imposables des agissements de ce nouvel arrivant. Des dangers qu’il a représenté pour la société et des risques toujours vifs qu’il pouvait encore faire courir aux enfants, vieillards et autres. Je n’ai pas eu ce follicule sous les yeux, mais nombre de mes camarades de sorties canines l’ont vu, lu et retenu. Meurtrier, deux fois, mais inconscient de ses actes, il a purgé une peine trop légère à leur goût, de dix ans par vie abrégée, raccourcie pour bonne conduite et réelle contrition. Cet homme n’était pas digne d’accompagner nos heures domestiques et de rôder près de nos frigidaires, voitures, femmes et télévisions. Il fallait renvoyer au plus vite ce malfaisant assoiffé de sang, haineux et irrécupérable.
Que dire à ces gens. La peur était palpable, nous nous en imbibions. Je le regardai passer sous notre fenêtre seul, avec son chien. Après tout nous avions d’autres problèmes en tête. Les personnes comme nous devaient comprendre des gens comme eux. Et si nous nous opposions ? Alors comme disait un pote du parti, c’était vers le front national qu’ils se porteraient. La gauche devait entendre ce peuple effrayé par les erreurs sociales que sont ces meurtriers et autres agresseurs quotidiens, qui pourrissent la vie de tous et caetera. J’aurais dû faire quelque chose. Mais la peur...
Son procès eut lieu lors d’une réunion de copropriété. Nous simples locataires n’y étions pas tous. Le logeur de notre Maudit ne vint point. Aucun officiel malgré les mises en garde ne s’était déplacé. Un journaleux attendait sagement dans un petit troquet près de là. Ce soir là j’étais seul devant ma télévision, aucunement ému par le drame qui se nouait à deux pas d’ici. Je zappais sur les chaînes du câble à la recherche d’un truc pas trop con à regarder. Après deux heures de délibérations, il fallait qu’il parte. Au plus vite. Un voisin présent à cette réunion me racontait sa prise de parole pendant que pissait tristement son vieux berger de je ne sais où dans un des emplacements « toilettes pour chien » de la résidence. J’étais triste.
Georges a fait ses bagages hier devant un huissier. Des voisins l’ont aidé. Une assistante sociale lui a trouvé un nouvel appartement dans une villa partagé par trois anciens détenus réintégrés de longue date pour deux d’entre eux, le troisième fait parfois un extra, tous les cinq ans, sans grandes conséquences. Tout est bien qui finit bien en a conclu un des jurés. Mon ami de cellule philosophe s’est promis la prochaine fois d’être sur le terrain le premier quand ce type de problème se reposerait. Moi je me suis promis de ne plus regarder la télé quand un drame de ce genre se noue à deux pas de chez moi. J’ai pris l’Internet à la place. Mais mon chien ne vient plus me chauffer les pieds quand je me repose. Il m’en veut encore.
Le 18 juin 2005