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Spécificité et a-spécificité de la psychiatrie

à Félix Guattari

vendredi 17 juin 2005, par Michel Balat

« Il est de toute première importance pour nous de reconnaître ouvertement que l’absence de maladies psycho-névrotiques est peut-être la santé, mais que ce n’est pas la vie ».
C’est en ces termes que Winnicott, pédiatre, devenu psychanalyste par nécessité de son rôle de médecin, interpelle tout psychiatre : quelle est notre action ? Supprimer les « maladies psycho-névrotiques » ? Effacer les symptômes ? Un laboratoire fabriquant de tranquillisants distribue pour sa « pub » d’énormes gommes (13 cm x 7 cm x 1 cm) : « Pour gommer l’angoisse de vos patients », dit le visiteur médical...
Il a dû se tromper de porte. Je ne suis pas psychiatre pour gommer les symptômes, ni pour réinsérer, ni pour réhabiliter, ni pour resocialiser.
« La vie, en quoi consiste-t-elle vraiment ? » Psychotiques, névrosés, angoissés ou simplement êtres humains, c’est fondamentalement la question qu’ils me posent.
Ce matin, un matin bien ordinaire, quatre d’entre eux m’ont dit : « Je n’ai pas plus de raisons de vivre que de mourir ».
Au moins, eux, officiellement « fous », eux qui sont hospitalisés, « adultes handicapés », « invalides », peuvent le formuler. Le médecin que je suis remet pour lui-même la phrase dans l’autre sens, ça me permet de me décontracter. Au moins, « ils » n’ont pas (pas encore ?) plus de raisons pour mourir que pour rester en vie...
À les écouter, on comprend mieux : les loubards, la violence, ce que les sociologues qualifient de « phénomènes de société »... Ceux pour qui la vie d’autrui n’a plus aucune valeur. Parce que leur vie à eux n’en n’a aucune à leurs propres yeux. Ceux qui, par leurs actes, nous renvoient leur question : « la vie, en quoi consiste-t-elle vraiment ? » Eux aussi ont perdu, non pas une « raison de vivre », ais le sentiment même que la vie vaut la peine d’être vécue.
Nous le savons tous, même si nous nous en remettons, pour régler ces « problèmes de société », à quelques « décideurs » ou « chercheurs » psycho-sociologiques dûment appointés par l’État. Je le sais. Nous le savons : ce qui est là aussi en question n’est qu’une petite chose ; imperceptible, si ténue ; déjà presque indicible ; et, de plus, devenue étrange aux oreilles de notre société de consommation... « Ce » qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue : le désir, dirait Jean Oury.