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Un Appel urgent à la mobilistion par le Dr Alain Buzaré

vendredi 31 octobre 2008, par Michel Balat

APPEL ALERTE APPEL ALERTE APPEL ALERTE

(Dr Alain Buzaré Le 23 octobre 2008)

Mes amis, confrères, collègues et citoyens,

Le projet de démanteler et de rayer de la carte de la sectorisation psychiatrique du Maine-et-Loire le secteur 3 du Centre Hospitalier Spécialisé de Sainte-Gemmes-sur-Loire se fait jour.

Il circule depuis plusieurs mois dans ce qu’il est convenu d’appeler « les milieux autorisés » et a été récemment officiellement exposé par le Directeur Général de cet hôpital à son Conseil Exécutif de septembre 2008. Il s’agirait, dans une pure logique gestionnaire économique et technocratique, d’assurer le retour à l’équilibre budgétaire de l’établissement et de créer de nouvelles structures hospitalières, exigées par la loi ou par les pressions politiques et sociales : une structure d’hospitalisation de 72 heures, une structure d’hospitalisation réservée aux hospitalisés d’office ainsi qu’une structure hospitalière… pour ceux qui n’auraient plus besoin d’être hospitalisés. Les ressources humaines du secteur 3 seraient, pour certaines, affectées à ces nouvelles structures pendant que d’autres de ces postes passeraient à la trappe. Il est évoqué de manière très insouciante que le suivi des patients du secteur 3 serait réparti dans les autres secteurs. Il en serait de même pour ses locaux extra et intra hospitaliers (dont on notera au passage, qu’après les avoir pensés et attendus pendant de longues années, le secteur 3 les a investis il y a un an à peine).

Ce qui aurait du rester à l’état d’une idée à mettre démocratiquement au travail dans les instances consultatives et délibératives, a envahi le Centre Hospitalier sous la forme d’une « rumeur » dont il devient maintenant évident…qu’elle n’en était pas une. Une assemblée générale des personnels du secteur 3 a permis le 2 octobre dernier à la hiérarchie du service d’apporter les informations connues d’elle, aux agents de ce service d’exprimer des sentiments d’incrédulité puis de grande préoccupation et à tous de commencer à envisager la résistance. Les personnels du secteur 3 ont dit attendre beaucoup, des prochaines réunions médicales, une prise de position clairement opposée à ce projet, estimant qu’une grande responsabilité reposait sur le corps médical dans l’organisation du refus de voir ainsi disparaître un secteur de psychiatrie entier, corps et âme. Ils ont également saisi leurs organisations syndicales et la réunion des adhérents du secteur 3 de l’une d’entre elles a fait état d’une rencontre entre ce syndicat et le directeur au cours de laquelle ce dernier a exposé très précisément le déroulement de ce scénario, confirmant son existence concrète bien au-delà d’une pensée individuelle. Aujourd’hui, ce sont les patients qui, touchés eux aussi par cette « rumeur », questionnent, avec l’angoisse que l’on peut imaginer.

Un espoir certain est toutefois né d’une rencontre des médecins de cet établissement : cette réunion a en effet affirmé qu’une restructuration éventuelle de l’établissement devrait concerner l’ensemble de ses acteurs et que le nombre des secteurs de psychiatrie ne pouvait être une variable d’ajustement d’un budget hospitalier en déséquilibre.

Cette prise de position était essentielle. Tout danger n’est pas pour autant écarté de voir prendre forme ce projet, dans les mois qui viennent, dans le cadre du nouveau projet d’établissement.

L’analyse des tenants et des aboutissants de cette situation est sans aucun doute extrêmement complexe, liant le macro et le micro politique. Il ne saurait être question ici d’exhaustivité mais nous pouvons retenir deux idées :

1°) de nombreuses organisations syndicales et professionnelles et un nombre de plus en plus grand de personnalités estiment que se déroule actuellement sous nos yeux une entreprise de démantèlement du service public hospitalier. Celle-ci est d’autant plus redoutable qu’elle s’effectue pas à pas, petit à petit, de loi en loi (hôpital 2007, hôpital-patients-santé-territoires…) dans un climat général de résignation n’engendrant que d’éparses protestations. Il s’agit de l’organisation calculée d’un étranglement économique massif de tous les hôpitaux publics du territoire et de la prise en main de ces établissements par des « managers » guidés, de gré ou de force, par l’idéologie forcenée de l’hôpital entreprise, avant que ce service public ne soit bientôt offert aux intérêts privés lucratifs (ou du moins ses aspects rentables, le comble étant que nos propres relevés statistiques sont en train de les faire connaître !!!) Le professeur Grimaldi demande : « assisterons-nous en spectateurs impuissants à l’effondrement du service public hospitalier ? On ne saurait exclure cette éventualité, tant la stratégie de la « contre-réforme » est : morcellements, divisions, avances par petits pas, reculs temporaires, dénégations voire mensonges... Ou bien verrons-nous dans un sursaut éthique les médecins hospitaliers se joindre aux surveillant(e)s et aux infirmier(e)s pour défendre non pas des intérêts corporatistes, mais l’hôpital public au service du public selon des valeurs très anciennes mais en réalité d’une grande modernité » Précisons qu’en matière de psychiatrie, cette situation aboutit de fait à l’abandon d’un nombre de plus en plus important de patients (dans les rues, dans le métro, dans les prisons, dans de sordides logements…) au point que des études constatent une augmentation considérable de la mortalité des personnes psychotiques et que des voix s’élèvent contre cette forme nouvelle d’hécatombe.

- 2°) le choix du secteur 3 pour cette opération de démantèlement, même camouflé derrière une soi-disant intense réflexion (menée avec qui ?) sur l’opportunité de la destruction de tel ou tel service, n’apparaît à personne comme le fruit du hasard. Disons pour aller vite qu’il est normal que ce soit ce secteur qui « valse », lui qui, à la préhistoire de la psychiatrie de secteur dans le Maine-et-Loire et même en France, avait osé faire valser les « soignants » avec les « soignés » au cours d’un bal, au foyer des malades, à l’occasion d’une soirée de réveillon, dans les années 60. Disons encore que toute l’histoire de ce service, ses théories (en mouvement permanent) et ses mises en pratique des soins en particulier aux personnes psychotiques ainsi que sa façon de mettre au service de ces soins la gestion de ses ressources humaines va à l’encontre de la mise en place de cette psychiatrie dite nouvelle aux forts relents de passé nauséabond. Unité de 72 heures ou pavillon des entrants ? Unité pour HO ou pavillon des agités ? Unité pour patients « chroniques » ou pavillon de défectologie ? Resteront « les calmes, tranquilles et travailleurs » qui ne travailleront même plus, dans des unités désertées de personnel soignant. Lucien Bonnafé nous invitait à construire le contraire de la psychiatrie asilaire sur les ruines de l’asile et nous voyons aujourd’hui le phénomène inverse se dérouler, ce qui n’étonnera pas les historiens, lucides à propos de ces mouvements, courants et contre-courants traversant en permanence l’histoire de la psychiatrie, rythmée par la qualité de ce que Henri Ey appelait « l’éthico-social »

Est-il nécessaire de préciser en quoi ce projet de démantèlement d’un secteur de psychiatrie générale, quel qu’il soit, serait porteur de violence et de mort ? En mesure-t-on les effets extrêmement délétères sur les patients ainsi déconsidérés, eux dont on dit, dans le cadre d’une « certification » complètement détachée du réel, qu’ils sont le centre de nos préoccupations ? En mesure-t-on les effets extrêmement déstabilisants sur son équipe soignante ainsi niée dans la qualité de son travail ? A-t-on une idée de qui pourrait assumer la responsabilité de la gestion de la destruction d’une équipe d’un point de vue éthique ou même « simplement » d’un point de vue juridique lorsque l’on sait les risques humains encourus dans l’actuel climat irrespirable des pressions administrative et judiciaire ?

Est-il nécessaire de préciser que ce projet ne sera en rien la « solution » aux problèmes posés à notre établissement ? Quelques questions, soi-disant non encore réfléchies, devraient permettre de s’en convaincre : combien de postes devraient être nécessaires au fonctionnement de ces nouvelles structures particulièrement gourmandes en personnels ? Combien de postes disparaîtraient dans le cadre du rééquilibrage d’un budget dont le déficit est aujourd’hui annoncé à 15 « équivalents temps plein » (l’équivalent temps plein étant devenu la nouvelle unité de mesure des déséquilibres budgétaires…) ? Combien en resterait-t-il dans ce que l’on continuerait peut-être à dénommer « secteurs » pour s’occuper d’une file active en constante augmentation et à laquelle s’ajouterait, par une mathématique répartition, environ 12 000 habitants et plus de 200 patients par secteur émanant du secteur 3 ? Sait-on quel sera le prochain secteur à disparaître si cette logique de l’économique à tout prix s’impose ?

Mes amis, confrères, collègues et citoyens, cette expérience locale a le mérite de mettre en évidence l’intensité du conflit éthique au centre duquel les médecins et leurs collaborateurs sont aujourd’hui placés : d’un côté ils doivent assurer à chaque patient le soin optimum, de l’autre ils sont soumis aux impératifs de la rentabilité, des déficits permanents, du contrôle tatillon et des contrats léonins. Il n’y a pas d’autres solutions que de s’opposer à cette déclinaison locale des méfaits d’une politique nationale de manière confraternelle, au sens que chacun sait que l’on ne ralentit pas la montée des eaux en appuyant sur la tête de son frère (fût-il con...) Il s’agit de refuser de cautionner un tel projet de disparition d’un secteur mais surtout du secteur comme concept opératoire de la psychiatrie publique. Il s’agit de résister à cette idée, profondément ancrée, et dont la psychiatrie nous parle en tous temps et en tous lieux, que le sacrifice des uns pourrait assurer la tranquillité des autres ( « on tira-z-à la courte paille »…) et de faire face à cette adversité par des positions de solidarité. Toutes les rencontres à venir se devraient de réfléchir à cette situation, de donner un avis sur cette question et de faire des propositions de résistance concrète.

Vous pouvez adresser vos réactions et vos témoignages à :

Docteur Alain Buzaré

Psychiatre Hospitalier

Secteur 3

CESAME Centre Hospitalier Spécialisé

49130 SAINTE-GEMMES-SUR-LOIRE

Docteur Alain Buzaré

Ces quelques paroles, même brèves, seront très utiles au soutien de tous et pourront être si besoin des éléments de la résistance multiforme qui s’annonce nécessaire .