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Un restaurant d’insertion pour patients psychotiques : Pourquoi ?
Charles Dissez
samedi 29 avril 2006, par
Diplôme Universitaire Psychothérapies Institutionnelles Lille. Année 2006.
Un restaurant d’insertion pour patients psychotiques :
pourquoi ?
Ce projet est né d’un constat ancien d’insatisfaction dans ma pratique de psychiatre de secteur. En effet, l’expérience prouve que dans la majorité des cas des malades souffrant de psychose arrivent avec le temps à trouver un équilibre relatif dans et avec leur fonctionnement psychotique et apparemment cet équilibre semble relativement économique quant à leur souffrance psychique. Certains n’envisagent pas d’autres solutions que cet état d’équilibre qui donne cependant une impression de stagnation surtout au bout de plusieurs années, d’autres au contraire aimeraient trouver ou retrouver une insertion professionnelle que la décompensation a fait voler en éclat et que l’état du marché du travail ne facilite pas.
On sait que la psychose et en particulier la schizophrénie introduit dans la vie d’un sujet une rupture qui en même temps ouvre une possibilité de renaissance par où on peut devenir autre sans cesser d’être soi-même.
À ce niveau l’enjeu est de ne pas abandonner l’évolution d’un patient à la tendance spontanée de la psychose vers la stagnation et l’entropie maximum.
D’où l’idée d’un chantier d’une entreprise d’insertion ouvrant la possibilité d’un emploi à mi-temps en partie financé par l’État pendant un temps déterminé( un à deux ans) et destiné à des patients ayant un statut de travailleurs en insertion avant un possible retour vers le monde du travail ordinaire.
Cette entreprise est un salon de thé -restaurant situé dans un complexe cinématographique d’art et d’essai de la ville de Tours lui-même géré par une association très vivante ( 20000 adhérents, 300000 entrées par an.)
Cette idée remonte à plusieurs années et s’appuie sur plusieurs constats :
Premier constat dans les années 70 avant que le chômage n’aie permis de faire pression sur les salaires et les conditions de travail, les patients psychotiques qui quittaient l’hôpital trouvaient pour une part importante à s’employer ;
Deuxième constat il me semble que depuis cette époque on a avancé dans le soin de la psychose et que d’autre part existent des psychotropes ayant moins d’effets secondaires et se montrant moins invalidants.
Troisième constat malgré cela, les malades qui au bout d’un certain cheminement trouvent cet équilibre dans leur maladie dont je parlais, dans la grande majorité des cas ne trouvent plus leur place dans le monde du travail, il est vrai qu’ils sont en butte aux problèmes d’une double aliénation, l’aliénation psychopathologique et l’aliénation sociale, ils se retrouvent en effet dans la même situation que les chômeurs de longue durée.
Quatrième constat, le handicap du à la décompensation psychotique contrairement à d’autres formes de handicap n’est jamais définitivement fixé et un facteur prévalent dans son évolution tient au contexte dans lequel vivent et se soignent ces patients. Oury, a particulièrement travaillé ce problème autour de la notion de pathoplastie.
Le concept de transpassibilité que développe Maldiney permet aussi d’approcher ces questions. Le transpassible pour Maldiney c’est la capacité pour un sujet d’accueillir l’imprévu et de négocier avec lui. Cette capacité est entamée dans la schizophrénie. Il y a là une explication à l’évolution cicatricielle de certaines psychoses sous la forme d ’une existence ritualisée où tout se reproduit à l’identique d’un jour sur l’autre dans le « hors temps ».
Dernier constat on assiste au fil des années à une diminution importante de la durée des hospitalisations. Il n’est pas question de nier l’intérêt de cette évolution. C’est vrai qu’actuellement on n’oublie moins certains patients qui au bout de quelques mois se fondaient tellement avec les murs qu’il n’en était plus question et qu’il fallait souvent un incident pour qu’on les redécouvre. Mais en même temps il ne faut pas se cacher que ces mêmes patients peuvent aussi bien disparaître dans leur appartement fut-il thérapeutique, que les prises en charge « light » ne leur suffisent pas et on sent toujours autant la pente naturelle de la psychose qui pousse dans ces conditions vers la stagnation, l’inertie, l’entropie maximum. D’où la nécessité d’inventer de nouvelles formes d’accompagnement au long cours qui ne nie pas la dimension chronique de la psychose.
Je reviens à cette idée d’entreprise d’insertion : il n’est pas dans mon propos d’idéaliser le travail mais en même temps il permet à chacun d’entre nous de faire des rencontres de partager des intérêts de tisser des relations et parfois même d’y trouver un épanouissement.
D’autre part le travail est un des supports possibles de notre identité, C.Dejours parle bien de cette question dans sa recherche sur la psychopathologie du travail.
Il définit en effet l’identité et la situe vis à vis de la personnalité. On peut avec toutes les précautions d’usage dire que la personnalité se caractérise par sa relative stabilité, son invariance alors que l’identité est cette partie de nous qui n’est jamais fixée, qui dépend du regard de l’autre, de sa reconnaissance chaque jour renouvelée, on est dans l’intersubjectif : quelle image l’autre me renvoie de moi-même ? .
Dans le champ social cette reconnaissance s’appuie entre autre sur la reconnaissance du faire.
En d’autre terme mon identité se conforte chaque jour par la reconnaissance du regard que l’autre porte sur ce que je suis capable de faire. Dans un contexte où la valeur travail signifie encore quelque chose, la façon dont je vis mon identité n’est pas la même si je travaille ou si je perçois une allocation.
La difficulté qu’éprouvent les chômeurs à s’organiser collectivement montre bien à quel point cette question est prégnante.
Travailler constitue donc une éventualité possible pour faire mais aussi pour se faire sous le regard de l’autre. C’est aussi je ne l’oublie pas, un risque de se défaire dans certaines situations de travail qui deviennent alors un obstacle à l’épanouissement.
Remarque incidente et plus personnelle quant à ce qui sous-tend aussi ce projet et qui est très pris dans ce que je vous raconte sur l’identité. Ma retraite récente d’un travail où j’ai négocié avec la fatigue, l’angoisse mais où je ne me suis jamais ennuyé et donc le besoin de ne pas me mettre complètement en retrait. Ce besoin doit être plus répandu que je ne l’imaginais puisqu’il a croisé un désir identique chez un certain nombre d’infirmiers dans la même situation. Il est vrai que le milieu associatif est peut-être un lieu où il y a encore une possibilité d’initiative et de créativité.
Donc un chantier d’insertion dans un cinéma et un cinéma d’art et d’essai.
Ce choix n’est pas neutre l’exclusion culturelle participant à l’exclusion en général.
Et un restaurant comme support comme médiation. En effet, une des choses qui m’effrayait dans mon travail de psychiatre de secteur est la difficulté que certains malades ont à habiter réellement le lieu dans lequel ils vivent, à en prendre possession, cette difficulté s’exprimant de plusieurs façons mais entre autre par la façon stéréotypée de se nourrir ou ne pas se nourrir ; et parallèlement à ce constat le caractère vivant des groupes thérapeutiques qui à l’hôpital fonctionnent autour de la nourriture.
Ce qui me permet de rappeler une des grandes avancées de la psychothérapie institutionnelle : l’utilisation des gestes de la vie quotidienne comme support d’échanges ce que Hochman appelle la « réalité partagée » qui permet d’éviter la confrontation, le face à face avec la psychose qui bascule si facilement dans la dimension imaginaire, la rivalité, la fascination érotique mais aussi la tension agressive.
Interposer un « faire avec » permet d’échapper à cette relation fascinatoire et permet de pouvoir incarner ce que Racamier appelle « l’ambassadeur de la réalité ».
Je m’aperçois que j’insiste sur des choses bien connues mais qu’on a peut-être tendance à négliger dans l’ambiance néo stakhanoviste des hôpitaux actuellement. Donc je reviens sur ce « faire avec » qui se fabrique en commun et qui a une fonction d’interposition de pare excitation dont ont sait qu’il est défaillant dans la psychose.
On sait aussi combien ce « faire avec » a à voir avec l’espace transitionnel, cet espace non-moi, non-autre, espace de créativité qui par son utilisation, par le jeu qu’il permet va accompagner la prise de conscience des limites de soi et on sait combien l’envahissement hallucinatoire signe la perte du sens des limites de soi.
Tout ce travail autour du « faire avec » on a de moins en moins le temps de s’y impliquer dans l’organisation actuelle des soins. Sans doute ce projet en garde la nostalgie et tente d’en préserver quelque chose.
Je ne voudrais cependant pas ignorer les risques d’une telle entreprise et les problèmes qu’elle pose :
le risque de l’associatif et sa précarité dans le contexte actuel.
il y a quelque chose de névrotique à vouloir à tout prix être occupé chez certains d’entre nous, je me sens un peu de ce bord, besoin qui exprime sûrement une relative incapacité à se laisser aller à la rêverie et à la contemplation. De ce côté je me sens assez handicapé face à certains schizophrènes. Il faut relire à ce propos le petit texte de Lafargue le gendre de Marx sur « Le droit à la paresse ».
Enfin, il ne faudrait pas négliger non plus l’évolution du monde du travail depuis quelques années avec l’ambiance d’urgence pour l’urgence qui ne sert à rien sinon à empêcher de penser, avec la hiérarchisation accrue dans les relations de travail, avec le fossé qui se creuse entre le travail réel et le travail prescrit par les experts et les protocoles qui force chacun d’entre nous et de plus en plus à bidouiller, à bricoler, le travail tel qu’il est prescrit pour pouvoir le réaliser. On est là dans un compromis incessant et on sait bien que la psychose ne navigue pas bien dans l’aire du compromis et qu’au contraire un schizophrène risque de pointer toutes les contradictions de l’organisation du travail et par là de se mettre en situation difficile.
Charles Dissez
Psychiatre, Tours